Raoul, Paulette, Gigi, Deauville

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 10 Novembre 2009 de Serge Le Vaillant)

J’arrive avec des fleurs et elle fait la gueule !

Oui ! Désolé ! Sorry ! Je suis obligé d’être grossier parce qu’il n’y a pas d’autre expression ! Elle fait la gueule. Si ! J’aurais pu dire qu’elle faisait une tronche de trois pieds de long ! Admettons ! Mais ce que je n’admets pas, c’est qu’elle me reçoive ainsi ! Parce que ça n’augure rien de bon pour la suite de la soirée ! Ah ! La ! La ! Les bonnes femmes ! Je vous jure ! Paulette qu’elle se prénomme ! Si on m’avait dit un jour que je serais avec une Paulette… Ah !

Mais les gens sont des chiens les uns pour les autres ! Vous imaginez facilement, aisément, vous ? Non ! Répondez-moi ! Franchement ! Vous imaginez un futur père caressant le ventre arrondi de son aimée en lui soufflant :

« Notre petite fille s’appellera Paulette ! »

Elle n’est pas contente. Je ne parle plus de son prénom !

Pensez… A 32 ans, elle s’y est faite, habituée Paulette ! J’arrive avec des fleurs et elle n’est pas contente ! Une petite bise à la volée, les lèvres qui ne se posent même pas sur ma joue, juste un smack dans les airs ! Pas un « merci ! » Même pas un « Bonjour ! » Elle va dans la cuisine déballer le bouquet, elle vient dans le salon chercher un vase, elle retourne dans la cuisine, j’entends l’eau couler, et je l’entends, elle aussi, ronchonner ! Elle pose enfin les fleurs sur la table basse du salon, pas un commentaire ! Rien ! Je n’attends pas qu’elle propose l’apéro, j’vais direct au bar, je fouille, je dis gentiment, je demande :

« Tu prends un petit quelque-chose chérie ? »

« Nooooooon ! »

Tandis que je m’en sers un pour ma gueule, bien tassé, elle, elle s’assoit au bord du canapé. Ah ! Ca, c’est un très, très mauvais signe ! J’préfère quand elle est vautrée ! Elle se gratte nerveusement le chignon. Ca, c’est un grand soir qui s’ouvre ! Et moi, toujours affable, urbain :

« T’as passé une bonne journée ma chérie ? »

Au bord du canapé ! Ah ! J’préfère quand elle est vautrée dans le canapé ! Il s’en est passé des choses sur le canapé ! Mais ce soir, c’est parti mon kiki ! Oh ! Je la connais sa chanson ! La chanson, ses grimaces, ses aigreurs, la même chanson depuis bientôt quatre ans :

« Quand vas-tu quitter ta femme ? »

Voilà ! La situation est posée, m’dames-messieurs, vous l’aurez compris, Paulette est ma maîtresse ! Et pas depuis quatre ans ! Cinq ans ! Hé ! Ca compte dans la vie d’un homme ! C’est-y pas vrai ? Cinq ans ! Mais qu’est ce que je suis venu faire dans cette galère ! Cinq ans ! Un an d’amour passionnel, de bonheur parfait, quatre ans de … Allez ! Le mot de 5 lettres ! Ca commence par M, ça finit par E, puis y a un R au beau milieu ! Et c’est pas MORUE, ni MARIE ! Hein ? Marié ! Mais je le suis même pas ! Marié ! Elle dit bien, vous l’avez entendu, elle demande bien :

« Quand vas-tu quitter ta femme ? »

Elle ne demande pas « Quand vas tu divorcer avec ton épouse ? »

C’est qu’avec Gilberte, nous sommes en concubinage notoire ! Gilberte !

Ouais ! J’les collectionne ! Ah ! Mais les gens sont des chiens les uns pour les autres ! Y compris pour leurs enfants ! Gilberte ! Un nourrisson avec un prénom pareil ! Ah ! Tout de suite, j’ai mis un truc au point avec elle. Soit je t’appelle Gigi, et tous les amis, les parents font pareil, sinon, ça collera pas entre nous ! Ca a collé ! On vit d’ailleurs à la colle ! Depuis 17 ans ! On a un beau gamin de 10 ans ! Raoul ! Quoi ? C’est mignon Raoul !

Et puis, j’ai rencontré l’autre ! La Paulette ! J’avais pile 40 ans ! On s’est plu ! Ah ! Je lui ai pas caché la vérité hein ! Après deux mois, je lui ai avoué que j’étais déjà en ménage ! Ouais ! Mais que ça n’allait plus vraiment et vraiment plus dans le ménage. Y aurait pas le gamin, ça serait vite réglé ! Mais… Y a le gamin ! Et qu’est ce qu’elle peut y comprendre Paulette, qui n’en a pas de gamins ? Mais elle en veut ! Et pas qu’un seul ! Puis avant ses quarante ans ! Et même avant ses 35 ans ! Ca serait mieux ! Parce qu’après, y a des risques ! Y a des risques ! Elle m’dit ça comme si c’était de ma faute ! C’est pas moi qui suis responsable de l’horloge biologique des femmes ! Oui ! Oui ! En revanche, moi, je peux en faire ! Même jusqu’à très tard ! A priori ! Et puis des beaux ! Ah ! Des beaux enfants ! Parce qu’il est beau mon Raoul ! Mon gamin ! Et justement ! Il faut pas le perturber ! Pas tout de suite ! Plus tard ! Dans quelques années ! Quand il aura son baccalauréat ! C’est ce que je dis toujours ! Les enfants, y doivent pas être mêlés aux histoires d’adultes ! Mais, elle veut pas comprendre ça Paulette ! Elle pourrait, mais elle veut pas comprendre !

En revanche, et par bonheur, elle n’est pas jalouse ! D’ailleurs, elle le serait, ça me mettrait en rogne ! Parce qu’il n’y a aucune raison d’être jalouse ! J’lui ai expliqué ! Bien longtemps qu’il ne se passe plus rien avec Gigi ! Et quand je dis rien, c’est rien ! On ne se parle même plus ! Tout juste si on se regarde encore ! On se grogne ! Et puis je dors dans le canapé ! On dine même plus ensemble, le moins souvent possible ! Mais, y a le gamin ! Et la chienne ! Une dalmagneule ! Croisée dalmatien et épagneul breton ! Ah ! Ca ! J’partirai pas sans la chienne quand on divorcera ! Enfin… On n’a même pas besoin de divorcer ! C’est quand on se séparera ! Et la chienne ? Où elle vivrait Olga ? Dans l’appartement de Paulette ?

Un dalmagneul, ça a besoin d’espace ! Ca doit pouvoir cavaler ! Elle pense pas à tout ça ! Paulette, qui fait la gueule ! Si elle croit que c’est avec cette tête-là qu’elle va me convaincre de quitter femme, enfant et… Ah ! Non ! Ca, je partirai pas sans ma chienne ! Plus d’une heure, trois apéros tassés pour me soutenir le moral et garder une contenance. Plus d’une heure la même chanson ! Ah ! Les bonnes femmes !

J’sais pas comment elles font pour répéter sans arrêt les mêmes trucs, les mêmes choses qu’ont sait aussi bien qu’elles ! Et la conclusion est toujours la même, et ne change pas d’un iota ! Je lui demande seulement un peu de patience ! Pour le gamin ! Qu’est en rien responsable des affaires des adultes ! C’est-y pas vrai ?

Un peu plus tard, on est quand même au pageot ! Ah ! Les petits tracas, les petits soucis amoureux, suffit de se mettre au lit au chaud pour les guérir !

C’est-y pas vrai ? Et puis alors sous les draps, et même sur les draps, on s’est toujours bien entendu avec Paulette ! Ah ! J’lui ai appris ! J’lui ai tout appris ! Je l’ai faite à ma main ! Elle ne s’en est jamais plainte ! J’suis galant, généreux dans l’effort… Enfin… Je vais pas vous faire un dessin en couleur ! Ch’sais pas pour vous, mais moi, ça me creuse ces activités-là ! Hélas, pour le coup, mademoiselle Paulette, qui a des rêves de maternité, de famille, elle n’est pas encore au point ! Un vrai réfrigérateur de fille ! Ah ! Ben venez voir !

Venez vérifier ! J’invente rien ! Une bouteille de lait surement périmée, deux endives plus très fraiches qui se battent en duel, un reste en soucoupe de salade de riz que même Olga, ma dalmagneule, elle n’y toucherait pas !

Paulette se fait de la salade de riz au maquereau au vin-blanc ! Ah ! Les pauvres gens ! Et ça vote ! Mal ! Mais ça vote ! Pourtant, la salade de riz… Plutôt un truc de gauche non ? Enfin… Maintenant, on sait plus ! On n’arrive plus à trier et à les reconnaître ! Bon… Toujours dans le frigo : Deux yaourts nature zéro %. Elle veut des enfants ? Faudrait déjà apprendre à faire la blanquette à l’ancienne, le bœuf mironton, et pas seulement réchauffer des p’tits pots ! Ah ! Ca ! Gigi, on peut lui reprocher bien des choses, mais Raoul, il a été élevé bio ! A l’ancienne ! Pas aux Kebabs micro-ondes ou aux saucisses de déchets de porc ! Ah ! Oui ! Ca, j’aurais pas supporté ! Ni pour lui, ni pour moi !

En revanche, quand on ouvre les placards de la cuisine, d’ailleurs, je les ouvre ! Pour trouver au moins des nouilles pour ma gueule ! Parce que Paulette, elle mange pas de nouilles ! Elle est perpétuellement au régime ! Ah ! Ca ! Dans les placards, y a des tablettes de chocolat ! Y a des la guimauve ! Y a des sucettes ! Y a des bonbons en forme de fraise ! Ca, c’est pour sa boulimie ! Quand elle a dit boulimie, elle a tout dit Paulette ! Tout expliqué ! J’lai vue faire dans les périodes de crise, de désarroi ! Je l’ai vue faire ! S’enfiler quatre tablettes de chocolat d’affilée ! Bien avancée avec ça ! Après, elle va conduire le camion, sur l’autoroute de nulle-part ! C’est à dire qu’elle tient le rond des waters à genoux, en appelant, comme elle dit, Raoul ! Rien que pour m’embêter ! Ca fait plaisir ! C’est gracieux !

Des coquillettes ! Sans beurre évidemment ! Des coquillettes avec un fond de concentré de tomates ! Même pas de gruyère ! Encore moins de comté ! Pas d’oignons non plus !

J’suis dans la force de l’âge, je viens de me dépenser… Des coquillettes arrosées de concentré de tomates ! Mais qu’est ce que je fous là ?

Pas un fruit frais non plus ! J’vais quand même pas gober une endive en guise de dessert ! Et ça veut donner, ça veut me donner des leçons sur la vie ? J’la vois la Paulette avec 1,2,3… 5 enfants ! Oh ! Je sais ce qu’elle va me proposer ! Direct, ce sera :

« J’arrête de travailler pour les élever ! »

Et moi, boulot-boulot ! Tout payer ! S’esquinter la paillasse ! Pourquoi ? Hein ? Pourquoi m’dames-messieurs ? Pour les voir, les enfants, devenir petites pétasses qui me prendront pour un con et qui sortiront avec les premiers venus du moment qu’ils dansent bien la techtonik ? Les garçons, au moins, on a moins de soucis sentimentaux ! Mais y veulent les scooters ! Et si on leur en offre un, on craint toujours l’accident ! Non ! Guère de satisfactions avec les enfants en vérité en retour des sacrifices qu’il faut leur consentir !

Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Quand c’est petit, c’est très mignon ! C’est une chose entendue ! Mais… « Mais faudrait pas que ça grandisse ! » Comme l’expliquait fort justement le grand philosophe que fut ma mémé Ursule, qu’était une bonne nature, parce qu’elle, elle savait préparer la queue de bœuf comme personne ! Avec du céleri !

Paulette… Faire la cuisine, tenir une maison ? Déjà, faut voir le bordel qui règne dans son appartement ! Alors… Avec des enfants ? Ou avec la dalmagneule ?

Voilà ! Elle fait de nouveau la tronche ! C’est qu’on devait aller faire un tour, le week-end prochain, en amoureux, mais… J’ai promis à Raoul de l’emmener voir le match !

Et ben oui ! J’avais oublié ! Ca arrive ! Même aux meilleurs ! L’erreur est humaine ! En tout cas, maintenant que j’l’ai dit au p’tit, j’ai des devoirs envers le petit ! Elle peut bien comprendre ça ! Qu’un gamin, c’est une priorité ! Oh ! Puis si elle comprend pas ça, j’préfère me barrer ! Oui ! En rogne !

J’apporte des fleurs, j’suis gentil, galant, j’me contente d’une endive croque-au-sel pour dessert…

Avant, elle trouvait admirable la façon dont je parlais de Raoul ! Et comment je me consacrais à son éducation ! Oh ! Et puis merde ! J’préfère me barrer ! Allez ! A après-demain ! J’apporterai un gâteau ! Au moins, y aura un petit truc à manger !

Ma femme, Gigi, tandis que je lui embrassais le front, en me couchant auprès d’elle, Gigi a trouvé que je sentais le pâté ! Elle m’a dit :

« On dirait que tu viens de bouffer du pâté dans une parfumerie ! »

Ah ! Oui ! J’ m’étais fait un petit sandwich en rentrant !

J’avais un creux ! Elle a ajouté en se lovant contre mon épaule :

« On va toujours à Deauville ce week-end ? On déposera le petit chez ma mère samedi matin ! Comme ça, on sera tranquille ! »