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Dépèches du Tarn et Saone
2 décembre 2009

Roger Boulard, marchand de couleurs

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 11 Novembre 2009 HISTOIRE #2 de Serge Le Vaillant)

J’m’appelle Roger ! Oui ! Comme tout le monde ! Enfin… Roger Boulard !

le_tueur

Comme de juste ! Quand j’étais petit, j’voulais être flic ! Policier ! Gendarme ! Enfin… Voyez !

gendarme

Courir après les voleurs, et si possible les arrêter ! Je parle pas seulement des casseurs, de braqueurs, mais aussi de ceux qui dans des bureaux design pratiquent le foutage de gueule de haut niveau ! Tous ceux qu’on aperçoit dans les beaux quartiers ou à la télévision, et de suite y nous vient une idée, une question ! Comment qu’y font pour avoir tout ça alors qu’à la maison on tire la chandelle par les deux bouts ? Oui ! Juste pour maintenir la tête hors de l’eau ! Et pourtant, on a de bons boulots à la maison ! Une chance ! Même si j’en fais pas trop puisque sinon, ça part aux impôts !

impots

Comment on fait fortune aujourd’hui en étant, en restant honnête ?

fortune

Oui ? La loterie… Oui ! Parlons d’autre chose ! Quand j’étais petit, j’voulais mener des enquêtes. Protéger la société des malfaisants ! Défendre la veuve et l’orphelin et aider la justice ! Dans la cour de récré, quand on jouait aux gendarmes et aux voleurs, j’étais un des rares, peut-être même le seul à vouloir être gendarme. On se marrait bien ! On avait toutes sortes de jeux qui favorisaient le défoulement et la solidarité ! C’était avant le temps du défilé de mode des petits poseurs qui ne sont plus que dans l’apparence. On ne les élève pas dans ces idées-là pourtant ! Y paraît que si t’es pas siglé marque connue reconnue, que si t’as pas la panoplie adéquate, dans les écoles d’aujourd’hui, t’es pas considéré ! Autrefois, y avait le fayot, le déconneur, le blagueur, le costaud, l’intello, l’obsédé… Y avait des caractères tranchés ! Aujourd’hui, la vedette, c’est celui qui s’est fait clouter la langue ou le nombril, ou celle qui a eu son premier tatouage !

biker

J’suis pas devenu flic ! Oh ! Je le regrette pas ! Tout le romantisme que j’attachais à ce métier se serait mal accommodé de la fonction en général ! Mettre des prunes sur les pare-brises, monter la garde devant un bâtiment officiel, saluer un secrétaire d’état au jambon industriel tranché… Le soir, quand tu rentres au bercail, tu dois t’interroger sur le sens de la vie ! Sur le sens de ta vie ! Ouais ! Oui ! Tout le monde s’interroge ! Enfin… Quand tu fais naitre des enfants, quand tu ouvres des cœurs, quand tu sauves des vies, quand tu éteins des incendies, quand tu fais rire une salle de spectacle, quand tu accompagnes les premiers ou les derniers pas d’une existence, quand tu transmets un savoir, c’est quand même autre chose que de verbaliser un pauvre mec qu’a 10 minutes de dépassement dans un stationnement qui n’emmerdait personne !

ticket

J’suis devenu quincailler ! Marchand de couleurs on dit ! Bien obligé ! Mon père, et son père faisaient cela avant moi ! Une entreprise familiale comme on dit, et comme ça est dans la réalité ! J’ai repris la suite, j’avais des capacités mais pas de possibilités. Mon père a refusé de me pousser dans les études. Pourtant, flic, c’est pas ingénieur ou médecin ! Tu fais flic parce que t’as raté tes études ! Mais, pas question de discuter ! Mon père, y disait :

 

« J’me suis pas crevé la paillasse toute ma vie pour que le magasin s’en aille à des étrangers ! »

 le_pere

Majeur, adulte, j’aurais pu l’envoyer paitre ! L’envoyer bouler et vivre ma vie ! Mais bon… C’était une autre époque ! Vous voyez ce que je veux dire ? Sinon, ben… Tant pis ! Et puis j’ai rencontré Simone. Ah… Simone ! Momone ! La voix de la raison!

simone

Avant elle, j’étais pas idiot ni manchot ! J’avais eu quelques flirts ! Deux ! Mireille au lycée et puis Sylvie, rencontrée en discothèque. Mireille, ça a été du main dans la main, du baiser de cinéma pendant des mois avant qu’elle ne parte en fac à Limoges, et là, comme de juste, un autre gars l’a aidée à m’oublier ! Quant à Sylvie, Sylvie… Une histoire d’un soir mais un moment inoubliable ! Inoubliable pour un garçon tel que moi ! Dans la voiture de son père, sur le parking du night-club, ça s’oublie pas !

brigitte

Même si y a pas de quoi pavoiser ! Elle a du oublier ! Elle a du m’oublier Sylvie ! J’devais pas être le premier, et j’devais pas être le dernier ! Moi, j’ai rien oublié ! Rien ! D’ailleurs, vous voyez ! Je vous le raconte !

44

J’ai 44 ans, bientôt 45 aux girolles. J’ai jamais trompé ma femme. Jamais trompé Simone ! 23 ans sans un coup de canif au contrat ! Oh ! Pourtant, j’ai eu des occasions ! Ah ! J’ai pas à me plaindre ! Dans le commerce où on se doit d’être aimable, le contact est obligatoire ! Mais non ! J’aime ma tranquillité ! J’en ai trop vu plongés dans des histoires qui font forcément des dégâts ! Non ! Moi, je me laisse pas griser ! Dans aucun domaine d’ailleurs ! Une cuite à la fin de mon service militaire à Verdun, une seule cuite ! La seule de ma vie ! Ca m’a suffit ! J’comprends pas qu’on puisse aimer ça ! Vomir, sentir les bouts de manger coincés dans les trous de nez, le mal de tête, non ! Jamais d’apéros, jamais d’alcools forts, un peu de vin de table en mangeant, même les vins avec de belles étiquettes c’est pas pour moi ! Je sais pas juger, je sais pas apprécier ! J’aime autant l’eau qui rafraichi ! D’ailleurs, qu’est ce qui désaltère mieux que l’eau ? Vous pouvez me le dire ? Je le demandais souvent à mon fils quand il réclamait des sodas et des jus de fruits ! J’lui disais :

eau

« Ouvre le robinet ! Bois de l’eau ! »

 

Ah ! Oui ! J’ai un fils ! Edmond !

fiston

Edmond comme son grand-père. Sa mère voulait qu’on l’appelle Enzo ! Mais ça s’écrit Enzo ! 20 ans ! On se voit plus beaucoup ! Pour vous dire toute la vérité, depuis deux ans, on ne se voit plus du tout. On est… Non ! J’espère qu’on est pas fâché ! On ne peut pas être fâché définitivement contre son fils ! Mais lui, il est fâché ! Fâché contre son père ! J’sais pas ce qu’il fait ! Y donne pas de nouvelles. C’est bien la peine d’élever des enfants tiens ! Et vous en faites pas, c’est ce que je dis aussi et toujours à Simone, ma femme !

 

« Quand il aura faim, y reviendra ! La queue basse, entre les jambes ! Y sait où trouver la gamelle ! »

bobonne

 Et alors là, ce jour-là, ce jour-là, on causera tous les deux, entre quatre-z-yeux, et il aura intérêt à demander pardon, à genoux à sa mère ! Mais je m’en fous ! Pardon à genoux ! Ouais ! Il le fera quand même ! Pour tout le mal qu’il a fait à sa maman ! Pas vrai ? Simone elle voulait me quitter à cause de ça ! Oh ! Toujours du coté de son fils ! Monsieur servait la blouse ouverte dans la quincaillerie, même pas peigné, à peine rasé, ouais ! C’est pas comme ça que je l’ai élevé ! Avec la clientèle, j’ai trois règles ! SPS ! SPS ! Service, Propreté, Sourire ! Le jour de sa majorité, le jour même, il est parti ! Direct, j’suis allé chez les flics ! On m’a répondu, sous le képi :

 

« Mais monsieur ! Votre fils est majeur ! Y fait ce qu’il veut ! »

 

Ah ! Elle est belle la police ! Paraît qu’il vont en recruter 15000 cette année ! Alors qu’on en voit partout, partout, partout !

 

« Monsieur, votre fils est majeur, il fait ce qu’il veut ! »

 

Elle est belle la police, et la justice aussi !

Vous méprenez pas ! J’suis pas ronchon ! Puis j’fais pas de politique !

ronchon

Ca m’intéresse pas ! De toutes façons, nous, les petits commerçants, comme beaucoup d’autres, on sera toujours du mauvais coté du manche ! Quelle que soit la couleur du gouvernement ! Ah ! Ca ! Les promesses… Enfin… Alors que vous allez recevoir, si c’est pas déjà fait, la taxe foncière… Vous savez bien… Moi, je retournerai voter quand on considérera plus le vote blanc comme un vote nul ! Prêt à faire mon devoir de citoyen, mais pas pratiquer la politique du moins pire ! Un certain pourcentage de votes blancs, et tous ceux qu’étaient en liste, hop ! Y dégagent ! Tant qu’y en aura pas un de bon, de très bon ! Ah ! Oui ! Ca peut durer un moment ! Et alors ? D’un sens, ça fait déjà trop longtemps que certaines choses durent ! N’est-ce-pas ?

 

Avec mon fils, ça durait depuis un moment ! On s’engueulait tout le temps ! Et même à propos de la politique. Enfin… C’est quand même moi, son père qui a l’expérience ! Et quand sa mère s’en mêlait… Toujours du coté de son fils évidemment ! Elle qui fait pas la différence entre le libéralisme social et le socialisme libéral ! Pourtant, c’est énorme ! C’est vous dire ! Et ça vote ! P’t’être même blanc d’ailleurs !

 

Sinon, avec la bourgeoise, rien à redire ! Rien à dire !

rien

Oui ! Oh ! Ben quelques engueulades ! Souvent pour des peccadilles, comme dans tous les couples, comme on dit, et comme je suppose ! Puis surtout, on a nos habitudes ! C’est important ça les habitudes ! Les habitudes, elles arrivent pas par hasard ! On mange du poisson le vendredi, c’est pas par surprise ! Y a des justifications ! C’est aussi une façon de marquer son territoire les habitudes ! Simone, par exemple, vous la verrez jamais dans les rayons outillage ! Pourtant, j’ai essayé au début de l’intéresser ! Mais, c’était pas dans sa nature ! Et je répète ! Chacun son truc ! J’lui laisse volontiers le rayon électroménager ! Y a des trucs comme ça, on peut pas aller contre !

 

Deux femmes qui dansent ensemble le paso doble au bal, ça choque personne ! Heu… Deux mecs qui font une valse ou un tango… Tu vas entendre jaser !

 

En plus, on habite en dessus du magasin ! 24 heures sur 24 à la même adresse, mais… Si on n’était pas sur des rails, mais on se marcherait vite sur les pieds ! Sinon, ben… On se plaint pas ! On évite juste, depuis deux ans, d’aborder le sujet Edmond ! Ca fait trop mal au cœur ! Oui… Le temps arrange tout paraît-il ! Ca nous déplairait pas d’avoir un jour des petits-enfants ! En attendant, ben… On vit, on travaille : La boutique, le potager derrière, Simone son ménage, sa lessive, son repassage, puis moi la caisse, les factures… Le lundi après-midi, vu qu’on est fermé, on va aux commissions à SuperInterHyper ! Ca nous fait comme une manière de ballade ! Le dimanche, on est ouvert le matin, à cause de la foire, du marché ! C’est une bonne journée le dimanche ! Et l’après-midi, j’fais une grosse sieste devant la télé ! Plusieurs fois, des copains m’ont proposé d’aller à la pêche, à la chasse, et… J’veux pas laisser Simone toute seule ! Le soir, on se fait un programme télé. Quoi d’autre ?

 

L’été, on va à Boursault-neuf-Moutiers, en Tarn-et-Saône, au camping des Hortensias ! Ca s’appelle comme ça parce qu’y a des grands pins maritimes. On y a nos habitudes. On y retrouve un couple de Pézenas ! Lui, il est routier, et elle, je sais pas quoi ! Avec ce couple-là de Pézenas, on boit l’apéro, mais moi, c’est sans alcool. Mon pauvre père qui fumait des cigarillos est mort de ça ! Le Guignolet Kirsch, c’était son truc ! Tu parles ! On arrive à se glisser dans des parties de pétanque, on va à la plage ensemble, on s’envoie les bons vœux pour le nouvel an, et on se promet de se rendre un jour visite. Oh ! Ben, ça viendra hein ? Avec la retraite qui arrive bientôt. Avec Simone, on se fait un restaurant de temps en temps. Mais, le restaurant, c’est jamais aussi bien qu’à la maison ! Alors à quoi bon dépenser de l’argent ? On va au cinéma aussi ! Deux… Oui ! Deux fois par an ! C’est que c’est pas donné le cinéma non plus ! Et reçus comme des chiens dans un jeu de quille après avoir tapé du pied dans une file d’attente sous la pluie ! Merci ! Pour voir un navet, un mauvais film qui passera un an plus tard à la tv ! Non ! On est bien tous les deux avec Simone ! Oh! Pfff… Entre nous deux, c’est pas une grande histoire comme dans les romans ! Mais on s’aime à notre façon, à notre manière ! Et puis on a eu un beau gars ! Edmond ! Bon… Il est con son fils, mais c’est un beau gars ! Puisqu’il tient de moi ! Pas vrai ? Pour ce qui est de la tendresse, je dirai rien ! Je suis pas de ces crétins qui vomissent leur médiocrité devant les caméras ! J’me plains pas ! On n’a pas à se plaindre !

 

« C’est vrai Simone ! On est bien tous les deux ! »

 

 Finalement, on se passe très bien d’amis, de relations ! Ca créé des obligations, ça change les habitudes ! Moi, je lis beaucoup ! Des ouvrages sur la magie, et le spiritisme, les choses de l’au-delà, de l’autre coté du miroir ! J’crois beaucoup à ça ! Quand j’étais petit, une bohémienne a vendu à ma mère une petite médaille que je porte toujours ! Tenez ! Regardez ! La v’là ! La Bohémienne, en vendant cette médaille à ma mère avait dit :

 

« Avec cette médaille, il lui arrivera jamais rien au petit ! » 

 

Hé ! J’la crois ! Y m’est jamais arrivé rien dans la vie ! Mais alors… Vraiment rien !

rien2

 

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