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Dépèches du Tarn et Saone
16 novembre 2009

« Hé ! Vous préféreriez pas un cognac mamy ? » extended

 

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 11 Novembre 2009 HISTOIRE #1 de Serge Le Vaillant)

(Déjà entendu le 04 Février 09)


Elle est tombée !

Elle est tombée de l’escalier. Oh ! Par bonheur, de la troisième marche seulement ! Qu’est ce qu’il s’est passé ? On ne le saura jamais ! Elle pensait tenir bon la rampe, comme d’habitude, et puis elle est partie à la renverse. Incapable de se rattraper, de se retenir. Par bonheur, encore une fois, elle est tombée sur le cul avant que la tête ne porte sur la plante verte en caoutchouc. En caoutchouc en vrac, pot cassé, du terreau partout, mais ça a un peu amorti le choc.

Oh ! Elle ne dit pas qu’elle a pas été sonnée ! Comme un boxeur groggy dans les cordes ! Poupée de chiffon incapable de se relever !

« Vieille bête ! Vieille carne bonne à rien ! »

Elle n’avait mal nulle part, sinon à son amour-propre. Elle s’est tournée de coté avec l’espoir d’attraper le petit tabouret, le petit tabouret sur lequel reposait la plante verte, le caoutchouc !

Un tabouret qu’elle tient d’un oncle du coté de sa mère ! Tonton Marcel, qui buvait plus que de raison, et qui est mort de cela d’ailleurs ! Paix à son âme ! Enfin… Bien jeune qu’il est parti ! Et comme il était célibataire et sans enfants, on a distribué ses biens, ses… ses affaires. On disait ses choses à ce moment là, au sortir de la guerre. 48-49 peut-être. Elle a hérité le tabouret et puis un tableau, un petit tableau qui représente un port méditerranéen. Et, au fait, il est où aujourd’hui ce tableau ? Elle sait pas ! Elle ne sait plus ! Elle fait un effort pour se souvenir pourtant ! Hein ! Tonton Marcel, il était drôle ! Il avait de grosses moustaches ! Le tableau : La Napoule-Mandelieu ! Oui, mais dans l’ancien temps ! Ou Sète ?

Le tabouret où reposait le caoutchouc n’a plus que deux pieds !

Combien de temps est-elle restée allongée dans le couloir au bas de l’escalier ? Finalement, elle était bien ! Un peu sonnée toujours !

« Ah ! Non mais quelle imbécile ! Faut-y être bête ! Ridicule ! »

Toujours allongée, de sa main droite, elle a tâté ses jambes. Elle en a profité pour ajuster sa robe qui était relevée. Elle a tâté sa tête, ses épaules, son ventre, elle a touché, palpé, vérifié qu’il n’y avait de cassé, qu’aucune pression ne lui procurait de douleur ! Rien ! Rien de tout ça ! Alors, incapable de se relever, mais… une sensation de bien-être aussi ! Un sentiment de lourdeur, et aussi de légèreté, comme l’impression de voler.

Elle n’a pas souvent ressenti cela au cours de sa vie ! Cela ressemblait un peu à l’ivresse, Ouais ! Quand elle abusait des cerises à l’eau de vie, naguère ! Oui ! La tête lui tourne soudain ! Oh ! Ca, c’est la peur ! Sans doute la peur qui fait grimper sa tension ! Puis… De quoi aurait-elle peur ? De quoi peut-elle avoir peur à 87 ans ? Elle en a tant vu ! Oh ! Et puis, finalement, non ! Pas vu tant que ça ! Elle a juste peur ! Une peur de petite fille ! Peur de rien ! Peur de personne ! Peur. Simplement. Instinctivement, et c’est pas simple ! Et elle pleure, et elle murmure : « Papa ! »

Ce n’est pas son papa qui la relèvera aujourd’hui ! Comme quand elle était petite ! Hi ! Elle se souvient de ses grands bras forts, puissants qui l’envoyaient dans les airs ! Elle criait ! Elle riait ! Elle réclamait, elle demandait : « Plus haut ! Plus haut ! » Et il riait lui aussi !

Papa ! Où est il désormais ? Oh ! Dans son cœur à jamais ! Tant qu’elle vivra, il vivra ! Et puis après ? Qui se souviendra de lui ? Combien de temps est-elle restée ainsi allongée dans le couloir ? Plus d’une heure, c’est certain ! Et puis, elle a entendu la clé dans la porte, et l’image de son père s’est effacée immédiatement. Elle n’a plus rien dit, plus rien murmuré. La peur a laissé place à la honte. Elle a entendu sa fille Suzanne crier, et son gendre Stéphane râler avant de lui tendre les mains. Puis y avait les enfants : Elvis et Rony qui gloussaient !

Une fois debout, calée le dos contre le mur, elle a rajusté sa coiffure. Ah ! Elle aurait bien aimé avoir un miroir tout de suite ! On l’a accompagnée jusqu’à la cuisine, on l’a invitée, aidée à s’asseoir. Elle a demandé un verre d’eau fraiche. Stéphane a lancé :

« Hé ! Vous préféreriez pas un cognac mamy ? »

« Non ! »

Elle a demandé s’il restait pas encore des cerises à l’eau-de-vie. Suzanne l’a interrogée : Savoir ce qui s’était passé ! Ah ! Ben ! Ca, on ne le saura jamais ! Elle a proposé d’appeler le médecin, et le gendre branlait du chef d’un air de convaincu. Et puisque personne n’était là pour lui proposer une revanche, un ange, les ailes chargées de plomb en forme de plumes est passé plusieurs fois dans les airs sous le néon de la cuisine.

Elle a annoncé qu’elle irait bien au lit. Oui ! Oui ! Qu’elle devait aller au lit ! Elle n’avait pourtant pas sommeil, mais comme si l’incident l’avait électrisée. On lui a pas proposé de l’accompagner. Ah ! Si ! Arrivée en bas de l’escalier, elle a entendu la voix de Suzanne lui demander :

« T’as besoin d’aide ? »

Elle n’a pas répondu.

Cette fois, au bas de l’escalier, elle a saisi la rampe avec fermeté et puis elle a regardé ses pieds. La troisième marche ! Saloperie ! Elle lui aurait bien donné un coup de tatane ! Mais… elle n’est pas colérique. Elle a toujours su se contenir. Oh ! Si elle ne l’avait pas fait, si… Avec des si… on refait le monde dit-on, mais… pas la réalité ! Surtout pas la réalité passée ! Après s’est déshabillée, s’être aspergée d’eau de Cologne sur la poitrine pour se rafraichir, c’est une vieille habitude. Forcément ! Après avoir enfilé une nuisette, elle s’est couchée. D’abord assise pour faire monter les jambes, et puis elle s’est allongée. Elle a remonté les draps, les couvertures, elle a pensé à son papa avant de fermer les yeux. Ah ! Tiens, pour un peu, elle aurait pris son pouce !

Elle n’a pas trouvé le sommeil, elle entendait les enfants qui chahutaient. Difficile de s’endormir. Ca arrive souvent. Sans doute tous ces médicaments qui la perturbent. Avant… Avant quoi ? Avant le silence elle avait un petit transistor. Mais dès qu’elle a appris que ça gênait son gendre, elle a cessé de l’écouter. Oh ! Pourtant, elle ne l’écoutait pas fort ! Enfin… c’est ce qu’elle pense ! Oh ! Elle doit être de plus en plus sourde. En tout cas, c’est elle qui avait tort ! Elle n’est plus chez elle ! Eh ! Si ! Pour le notaire, elle est chez elle encore ! Mais, une maison appartient à un homme ! Elle a été élevée comme ça. C’est trop tard, elle ne changera pas d’idée ! Oh ! Chacun fait comme il veut, elle ne critique pas, elle n’impose pas ! Sur son chemin où il est trop tard pour aller en arrière, non ! Elle n’est plus chez elle !

Elle l’a été ! Quand il fallait trimer, économiser, quand Bernard, son époux, était encore là, qu’il disait à des amis :

« V’nez à la maison ! V’nez chez nous ! »

Chez nous. C’était beau de l’entendre dire ça ! Elle ne le réalisait pas sur le moment. Elle ne comprenait pas ces choses-là, comme d’autres choses d’ailleurs ! Ouais, elle est bête ! Elle est bête ! On laisse le temps filer comme ça entre les doigts, on rumine le passé, on redoute l’avenir, tiens ! On perd le goût du présent. Ce soir, elle aurait pu mourir ! On aurait pu la transporter à l’hôpital ! Donner du soucis aux autres, encore : La famille, les pompiers, les docteurs !

« Oh ! Oui ! Y-z-ont bien d’autres choses à faire tout ceux-là ! »

Elle ne se plaint pas, elle ne se plaint de rien ! Elle a été heureuse. Si elle ne l’est pas, elle pense à son papa et sa maman. A ses frères et sœurs, au pavillon de la rue Victor Hugo, le jardin avec les groseilliers, la balançoire, ...

Son mariage, aussi, a été un jour heureux ! Tout le monde lui disait qu’elle était la plus belle ! Et c’était bien la première fois ! Sauf son papa, qui le lui disait souvent ! Où est-il ? Dans son cœur ! Oui ! Oui ! C’est sûr !

Elle entend la voix de son gendre Stéphane et celle de sa fille Suzanne. Ouais, surtout celle de son gendre. Oh ! Quelques mots seulement lui parviennent. Pas si sourde ! Ils parlent de maison de retraite, de sécurité, de dangers, de maison de retraite encore une fois, d’accident… c’est pas la première fois qu’elle entend parler de cela.

Elle n’est plus chez elle, mais… Elle sent… Comment dire ? Elle sent que c’est elle qui appartient à la maison ! La maison qu’elle a tant briquée, nettoyée, euh ! En plus, c’est une maison à poussière ! Oui ! Elle se plaignait de ça, toujours, autrefois ! Tout le temps à faire le ménage en grand ! Bon ! Et alors ? Elle était jeune et forte ! Jeune… A quel âge a-t-elle cessée d’être jeune ?

Et puis, voilà, elle a tout donné ! Suzanne, Stéphane, surtout lui qu’a eu bien des problèmes de travail ! Oh ! C’est l’époque ! Une triste époque en bien des domaines ! Elle n’a pas envie de quitter la maison finalement ! Elle a jamais eu envie ! Et pourtant, elle gêne ! Elle les sait ! Elle le sent ! Oui ! Elle a tout donné : L’argent, la maison, son cœur, ses bras, et elle travaille toujours comme elle peut, chiffonnant, épluchant, lavant… œuvrant autant que ses forces lui permettent ! Elle ne veut pas être une charge ! Hé ! Si Suzanne ne remplissait pas les papiers, tiens ! Elle se ferait jamais rembourser pas la sécurité sociale !

Hé ! Oui ! Il faudra bien partir un jour, on n’est pas éternel ! Ah ! La belle affaire ! Sauf quand elle songe à la peine qu’elle fera peut-être aux autres ce jour-là ! Qui la regrettera ? Ouais, c’est ainsi, qui la regrettera ? Mais ! Elle a trop d’orgueil, vieille bête ! Vieille carne ! La question des regrets ne vaut pas d’être posée ! Elle rejoindra les siens ! Mais pas la maison de retraite ! Pas la maison !

Et ce soir, après l’incident, vieille bête imbécile, elle commence à se rendre à l’évidence qu’elle serait peut-être mieux matériellement dans une maison de retraite ! Elle ne dort pas ! Y aura d’autres vieux ! Seront-ils gentils, souriants, réservés ? Elle a toujours aimé les gens réservés ! Pas ceux qui gueulent, qui s’étalent, qui racontent des saloperies sur les autres, qui critiquent, et sa chambre ? Aura-t-elle sa chambre ? Une chambre qui ne ressemblera pas à une chambre d’hôpital ? Et la nourriture ? Qui fait la nourriture dans ces endroits-là ? Et le ménage ? Ah ! Non ! Elle veut pas être une charge ! Elle ne l’a jamais été !

Papa ! La jupe blanche qu’il lui avait rapporté de la foire d’Arras ! Elle se voit courir dans le jardin ! Des fleurs rouges, des fleurs jaunes…

Stéphane, oui ! Stéphane il a beaucoup de problèmes ! Il faut comprendre ! Et elle comprend. Les enfants qui donnent beaucoup de soucis à leurs parents ! Les gendarmes.

La balançoire, et les grands bras qui lancent dans les airs.

La porte s’est ouverte en grand. Suzanne est venue s’asseoir près de sa mère. Elle a tenu son visage à deux mains, tout donner. Comprendre. Demain, Stéphane et elle feraient les démarches nécessaires pour qu’elle puisse aller au plus vite dans une maison de retraite où on s’occupera bien d’elle ! Quelque chose de bien ! Pas une charge !

Pas trop loin, pas trop haut la balançoire !

Et puis, on lui rendra une petite visite de temps en temps ! Tiens ! Un dimanche sur deux, puis, pour les fêtes, pour l’anniversaire !

Fleurs rouges et jaunes, tout donné ! Oh ! Les bagages seront vite faits ! Papiers, notaire, maison, Papa !

Suzanne prend sa main. Ses doigts jouent avec les deux alliances que porte sa mère depuis que Bernard, son père est parti.

Elle les aura, plus tard, comme la bague, seule fortune de sa mère. Dans un écrin, un petit écrin de bois, qui ferme à clé ! Et quand elle l’ouvrira, un jour, elle découvrira, non pas une bague, mais un petit mot, un petit billet sur lequel est écrit :

« Merde à celui qui le lira ! »

mamie

 

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