Parole d'homme!

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 2 Octobre 2009 de Serge Le Vaillant)

 

Pour elle, Oh ! Pour elle, j’aurais été capable de tout ! Bien sur ! Du meilleur comme du meilleur ! C’est ce que je me suis évertué, tué à essayer de lui faire comprendre bien des fois, faute de pouvoir le lui prouver ! Pour elle, j’aurais changé ! Ah ! Oui ! Oui ! Oui ! Ah ! Oui ! J’aurais changé bien sur ! Puisqu’elle ne m’aimait plus comme j’étais ! Quoi ? Comment ? Quoi ? Qui a dit manque de personnalité ? J’aurais changé mais j’aurais gardé ma personnalité ! En plus, c’est même pas elle qui me demandait de changer, ou qui m’aurait changé ! C’est moi ! Rien que moi ! Que moi qui aurait décidé de changer ! Et qui peut décider, sinon ma personnalité ?

Ah ! Oui ! J’aurais changé si elle avait bien voulu me permettre de lui démontrer que j’étais capable de devenir autre ! Un autre plus proche de son idéal ! Tiens ! Oui ! Allons-y ! J’aurais été l’homme idéal ! Et l’homme idéal pour elle, c’est celui qui ne quitte la maison que pour se rendre au travail ! Et qui a les bras chargés de fleurs, de cadeaux en rentrant. Celui qui aide à la vaisselle, à la cuisine, celui qui ne laisse pas ses poils de barbe ni quelques cheveux dans la baignoire et qui prend bien soin de faire couler un peu d’eau pour les faire partir. L’homme idéal à la maison. Celui qui bricole. Celui qui préfère les films d’amour aux matchs de foot ! Celui qui préfère une soirée cote-à-cote sur le canapé du salon plutôt que d’aller se goberger avec ses copains. Celui qui ne boit jamais plus que de raison, qui arrête vraiment de fumer, au lieu d’empester, d’empoisonner, de polluer toute la maisonnée et de pourrir les rideaux.

Celui qui met ses chaussons en entrant afin de respecter le parquet astiqué. Celui qui a toujours le sourire du bonheur complet familial et qui n’oublie jamais la date des fêtes et des anniversaires !

Ouais ! L’homme idéal à la maison, Ah ! Oui ! Ca, elle aurait bien aimé ! Mais, tout autant, j’aurais pu changer et devenir l’homme de la situation !

Le pater familias, celui qui s’assoit au bout de la table, celui auquel toute la famille se confie, celui dont on attend, dont on espère et dont on respecte les décisions. Oui ! Assis au bout de la table pour mieux surveiller son troupeau qui mange la soupe froide. Celui en tout cas avec qui tout tourne rond ! Celui auprès duquel on sait parfaitement que rien de fâcheux ne peut vous arriver ! L’homme de la situation, c’est aussi le bricoleur !

Qui sait aussi bien changer les plombs que réparer la chaine de vélo du petit ou faire repartir le grille-pain ! Celui qui tombe toujours bien, à tous les sens du terme et de l’expression ! Celui qu’on salue avec des bravos ou des larmes de reconnaissance ! Celui qu’on peut suivre jusqu’en enfer avec la certitude d’en revenir sans trop de casse ! Peut-être quelques cheveux cramés ! Peut-être… Peut-être ! Au pire ! Ah ! Oui ! Pour elle, j’aurais pu être l’homme de la situation !

Tout aussi bien, j’aurais pu être pour elle l’homme de confiance ! L’homme de confiance à qui on peut… Ben… Tout confier ! Son magot, ses secrets, autant ami que mari, un type droit dans ses bottes, exigeant avec les autres autant qu’avec lui-même ! Un homme de parole ! Ah! Ben tiens! Ca aussi c’est bien comme homme! L’homme de parole !

Ah ! Oui ! Ca, ça lui aurait bien plu ! Celui qui ne ment jamais, celui sur qui on ne peut avoir aucun doute ! Ce qu’il avance, c’est comme l’homme d’église ! Ah ! Ca, non ! L’homme d’église, je crois pas que ça l’aurait trop branché…

J’m’embrouille…

Ce que l’homme de parole dit, l’homme d’église jure que c’est de bonne foi et la vérité ! L’homme de parole ! De quoi aurait-elle eu à se plaindre ? L’homme de l’art c’est bien aussi! Ca, j’aurais pu ! L’homme de l’art ! Celui qui pousse les autres mollement, en jouant des coudes et en se tenant bien droit ! « Laissez-passer ! C’est moi que v’là ! Moi, j’m’y connais ! » L’homme de l’art… Avec un aplomb, une maestria, et les autres immédiatement qui se poussent, qui s’inclinent sans protester ! Laissez faire, laissez passer l’homme de l’art ! C’est terrible ça ! Ca en jette beaucoup plus que l’homme d’équipage ! Ah ! L’homme d’équipage ! Corvéable à merci, pauvre mataf ahuri qui peint tout ce qui bouge, moi, j’aurais pu être homme d’équipage ! Oui ! J’aurais pu faire ça si cela avait été son souhait ! Et même mieux encore, j’me serais jeté à l’eau ! J’aurais fait l’homme-grenouille ! Il suffisait qu’elle demande !

L’homme-grenouille ? Elle aurait fait la femme ! Tous deux chaussés de palmes explorant le grand bleu ! Enfin… La combinaison, ça va un moment ! Pour aller bosser avec le RER ? C’est quand-même un peu particulier ! Mais, je pense qu’elle aurait préféré quand même l’homme-grenouille à l’homme de paille. Tiens ! Pendant que j’y pense, pour elle, j’aurais pu être aussi l’homme de fer ! Sans le siège roulant, évidemment ! Y a des choses avec lesquelles on ne rigole pas ! L’homme de fer ! Carré, impeccable, fermé, tout se passe en dedans, et puis tout à coup, c’est d’abord dans le regard puis dans les gestes, l’ordre ! Le bon ordre ! Pas le désordre ! Et l’équipe ! Parce que l’homme de fer, chez qui tout se passe en dedans, un type de réflexion, pas d’action, cet homme-là a besoin d’une équipe !

Un ordre, et Raymond Burr lâche les sirènes qui se mettent à mugir ! Les pneus des bagnoles qui crissent, avant la fin de l’épisode, les voleurs, les assassins, les dealers, ceux qui se sont montrés nus devant leur belle-mère doivent-être, et il sont arrêtés ! Il est comme ça l’homme de fer ! Oui ! J’aurais pu devenir cet homme-là, et on aurait fait ensemble une équipe extraordinaire !

Comment ? Qui a soufflé « L’homme du Picardie  » ?

Moquez-vous ! Mais pour elle, j’aurais été l’homme du Picardie ! Christian Barbier, ronchon, entre deux âges, intolérant et qui s’en vante ! L’ours ! Non ! Je n’aurais pas été l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ! L’homme du Picardie ! Grande gueule, mais seulement capable d’aboyer ! Pas de mordre ! Un homme déjà d’un autre temps et qui comprend rien ! Tu grattes l’écorce pourtant, y a que du tendre ! Du mou-mou ! Qui ne peut que les attendrir, les faire fondre ! Et tiens ! Puisque nous en sommes là, pour elle, j’aurais été capable de devenir l’homme de Rio ! « Pouêt-pouêt ! C’est moi Bebel ! » Un saut périlleux, un double axel, le costard blanc immaculé quoi qu’on fasse, les chaussures impeccables, la chemise vierge, alors !

A part la frange, enfin… La mèche quelque peu désordonnée, mais, c’est pour avoir bataillé avec 30 guérilléros rebelles et sadomasochistes du Biellouziskistan ! Mais non ! Erreur ! C’était l’homme de Rio ! Ca devait se passer à Rio ! Belle gueule, un peu cassée, mais alors, un sourire ravageur que cache parfois le nez d’ancien boxeur ! Et avec ça, une élégance dans les mouvements !

Oui ! Pour elle, j’aurais changé ! J’serais devenu homme-sandwich arpentant le bitume entre deux plaques publicitaires qui auraient proclamé : « Paulette je t’aime ! Paulette je t’aime ! » Avec des cœurs fluorescents autour ! Pour elle, je serais devenu homme-orchestre, avec des cymbales et des grelots aux mollets, un accordéon dans les bras, des klaxons sous les aisselles « Pouêt-pouêt ! » Un harmonica devant la bouche, une grosse caisse dans le dos, et des pigeons blancs sous le chapeau qui se barrent dans les feux de Bengale et les feux d’artifice ! Ah ! Ca ! Elle aurait aimé l’homme orchestre ! Enfin… Cinq minutes ! Pas plus !

 

Non ! Je sais ! Pour elle, j’aurais essayé de devenir homme de lettres !

Penseur, taciturne, silencieux, dans la pénombre de sa tour d’ivoire devant le Lutrin, une robe de chambre en velours, pondant des lignes somptueuses à la plume d’oie. Une pensée unique, des idées lumineuses, un romancier romantique qui sait toucher le cœur des femmes ! Pas un homme de Neandertal, abruti au volant de son camion, le torse velu sous le marcel à trous. Qui ne sait réfléchir que pour calculer sa moyenne ou pour compter sa monnaie après avoir payé sa bière ! Non ! Non ! Non ! Non ! Oui ! J’aurais pu aisément devenir l’homme de Neandertal ! Ca me coutait peu d’efforts mais je sais que ça, elle ne me l’aurait pas permis !

Ah ! La ! La ! La ! La ! Devenir pour elle l’homme du jour ! L’homme du jour ? Mais c’est pas donné à tout le monde ça ! Ca se travaille ou alors faut faire une connerie ! Enfin… L’un n’empêche pas l’autre d’ailleurs ! Ah ! Devenir pour elle l’homme du jour ! Sa photo à la une des quotidiens, dénoncé ou cité en exemple… Comment serais-je devenu l’homme du jour ? En jouant au loto comme je le fais depuis des années sans aucun profit ? Mais ! L’espoir fait vivre ! Et puis il paraît que je ne paye pas assez d’impôts ! Devenir pour elle homme politique, homme publique, homme de poids, moi qui ne suis qu’un homme de peu !

Devenir un brave homme ! Ah ! Brave ! C’est joli de devenir un brave homme ! Encore que… le mot brave… « Ah ! Il est brave çui-là ! Ah ! La vache ! Quand ça vous tombe sur les épaules ! Lorsqu’on a rêvé pour elle d’être un homme de mérite, un homme de qualité, pour elle, rien que pour elle devenir un homme de bonne volonté ! Donner ses deux mains à tous les gars du monde qui font la ronde ! Moi qui ne suis même pas, et loin s’en faut, un sait homme ! Allez ! Va ! Va ! Je sais bien ce que me dirait ma maman !

« Allez ! Ne pleures pas ! Sois un homme ! »

Et mon papa qui attendait que je sois un homme son fils ! Ah ! Mon père, lui, c’était un honnête homme ! Un homme de biens ! Il m’aurait dit aussi :

« Une de perdue, Dix de retrouvées ! »

Et en attendant les dix autres que j’imagine belles puisque je suis un homme de gout, j’essayerai en vain d’être l’homme de génie ou au moins l’homme d’esprit !

« Allez ! Va ! Ne pleures pas ! Ne pleures plus ! Sois un homme ! »

Mais là, avec Paulette, c’est râpé ! Ah ! Oui ! Oui ! Ca m’étonnerais que ça reprenne ! J’lui ai fait tant de promesses déjà ! De promesses non tenues ! Pourquoi croirait-elle maintenant que je dis vrai ? Non ! Je le sens bien ! Dans son regard, dans ses manières, c’est fini ! Et moi, malgré toute ma bonne volonté, oui ! Oui ! Je ne suis qu’un petit garçon qui pleure parce qu’il a cassé son jouet ! Et il n’a qu’à s’en prendre qu’à lui ! Un petit garçon, pas encore un homme ! Combien de fois me l’a-t-elle répété Paulette, qui pour la première fois seulement aujourd’hui a prononcé le mot d’homme devant moi pour me dire, pour me reprocher, pour m’annoncer que j’étais simplement un homme à femmes et avec un s de trop !

Une femme de trop ! Bientôt, très bientôt, une femme de moins ! Celle que j’aimais !

Parole d’homme !