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Dépèches du Tarn et Saone
9 octobre 2009

Mon gars René

 

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 1er Octobre 2009 de Serge Le Vaillant)

gare_de_l_est

Le lendemain après-midi, on ne parvenait plus à se reconnaître ! Impression des plus curieuses, surtout lorsqu’on a passé la nuit précédente à faire la foiridon la java, la bamboula ensemble ! La veille au soir, nous avions pris le train ensemble, à la gare de l’Est, sur le même quai, en même temps que le légendaire Orient-Express, avec de beaux messieurs qui aidaient des poules, des futures madones des sleepings à enjamber les marches des wagons, des voitures.

orient_express

Ca se lorgnait dans les prunelles, ça se souriait soyeux et velouté. Ca sentait bon les parfums de prix et les promesses de lendemains langoureux. A coté, nous, raides stones et prêts pour l’aventure, on faisait miteux ! Evidemment ! Nous faisions miteux, mais nous avions notre âge pour nous ! Tous autour de la vingtaine d’année !

tignasse

Avec les tifs sur les épaules, en cascade, la canette de bière ou le kilbus de n’importe quoi à la main, la chopine de rouquin. C’était en 1978.

1978_gandon

Je m’en souviens comme si c’était hier ! Pourtant, si je calcule bien, c’était il y a… Plus de trente ans !

18978_berb

Nous composions le train des conscrits pour l’Allemagne ! Parce que nous étions encore une armée d’occupation outre-Rhin ! Fallait donc occuper, en nous occupant. Aucun de nous n’y allait de gaité de cœur, sauf quelques skins, c’est à dire des têtes en peau de fesse, qui ne cherchaient pas à dissimuler leur goût pour la discipline, l’ordre et la moralité…

 

Vrai, il s’en trouvait qui en avait tellement manqué, de discipline, d’ordre et de moralité, qu’ils étaient des ratés de tout, des revenus de rien parce qu’ils n’avaient jamais réussi à pousser leurs fausses rangers au-delà de leur regard ! C’est à dire pas bien loin ! Ils se tenaient à l’écart des chevelus qu’ils considéraient comme des pourris des travelos, des feignasses, ça ricanait sec sans oser transformer les menaces en actions ! Le nombre jouait pour nous. Mais, tout de même, ça nous en promettait de belles une fois que l’on serait chez les Teutons ! A-les-en-croire, le Reich perdurait et c’était une bonne chose. En plus ils étaient fortiches en histoire et bien branchés sur l’actualité. Dans les voitures, pas de mélanges, mais des places réduites. Un avant-gout de l’ambiance et de l’atmosphère chargée des chambrées !

rails

Nous étions 8 ou 9 par compartiment après avoir picolé et fumé sec ! 8 ou 9 qui retirent leurs chaussures en même temps et qui se poussent du coude, de la fesse, du genou, de la couille et du coup-de-boule pour roupiller tranquille. J’évoque l’odeur et la promiscuité, trente ans plus tard je n’ai toujours pas oublié les bruits, les réflexions, les réveils poisseux au petit matin, et la première mise en rang devant un petit sergent, qui plus en aboyant qu’en parlant nous a avertis que nous devions plus compter désormais sur maman ! Après du remplissage de papier, un petit déjeuner sommaire, nous nous sommes retrouvés à la queue-leu-leu chez le coiffeur. Je dis le coiffeur… en fait, ils étaient 4 ! Et ils connaissaient l’art capillaire aussi bien que je parle le hongrois ou le Zoulou ! Des types de notre âge. Sans peignes, sans ciseaux, mais avec des tondeuses électriques ! Et ça se marrait sec autour des nouvelles recrues à qui on promettait que les filles adoraient les têtes en peau de couilles ! Trois minutes tout au plus par bonhomme ! Deux millimètres de poils sur la boule et puis quelques trous parce que les coiffeurs s’amusaient à se faire bouger en se donnant des bourrades ! Une fois dans la cour en survêtements idiots, on n’arrivait effectivement plus à se reconnaître ! Plus reconnaître les types avec lesquels on avait sympathisé pourtant depuis le départ de Paris, avec on avait fait la fête. Nous nous retrouvions comme une bande d’attardés, d’imbéciles heureux, de crétins des Alpes ! D’autant qu’avec notre nouvelle apparence, impossible de faire bande à part avec ces pourris de skins fachos nazillons ! Désormais casque-nu, fallait sonder les âmes pour savoir à qui on avait à faire ! C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon gars René !

bataillon

Nous attentions la soupe. Enfin… On nous avait dit la soupe, ce qui nous avait quelque peu effrayé, alors que c’était du steak haché ! Du Bifteck haché haricots verts ! Mais, à l’armée, quoi qu’on déguste, c’est de la soupe. Parfois aussi, c’est du rata ! Et puis le reste bien sûr ! En attendant d’aller manger en rangs, des fois qu’on se serait perdu, et en nous rendant jusqu’à la cantine, pardon… Jusqu’à l’ordinaire, j’l’ai aperçu mon René, un peu à l’écart des autres, tranquille, pas serein, il faut pas exagérer, mais peinard ! Y se dégageait de lui une impression de force, d’assurance malgré sa petite taille et le manque évident d’ossature et de musculature. Ca se tenait dans le regard. Dans le sourire aussi peut-être ! Je le redis, ça c’est tout de même passé il y a 30 ans ! Mon René, un petit mec blond ! Une sorte de Michel Blanc première mouture mais avec une tête mieux dessinée ! Pas un visage qui attire les ennuis, ni les femmes d’ailleurs ! Passe-partout, l’air de rien, mais qu’on sent le mec qui peut s’en sortir dans la vie en passant par-dessus le mur, plutôt qu’en cherchant à le casser ! Et puis Zut ! Oui ! Et puis Zut ! Sait-on absolument pourquoi, lorsqu’on se sent seul parmi d’autres, plongé dans un univers inconnu, sait-on absolument pourquoi on va plutôt vers l’un ou plutôt vers l’autre ? Ca s’est passé comme ça, autour d’une cigarette, enfin… moi, je fumais, parce que lui ne fumait pas ! Et autour de questions et de réponses sur tout et sur rien !

 

Quand on dit que la première impression est souvent la bonne, tout au moins, ma mémé Ursule, qui était une bonne nature, ma mémé Ursule, ce grand philosophe qui a illuminé ma tendre enfance, ne se privait jamais de le rappeler !

 

- « La première impression est souvent la bonne ! »

 

J’étais pas déçu d’être allé vers le René en question et je m’accrochais à lui comme si nous étions amis depuis toujours ! On ne le redira jamais assez non plus, rien n’est plus affligeant que la solitude lorsqu’on se doute qu’il va s’en passer de belles et de navrantes dans les jours à venir ! Et je sentais bien qu’il pensait comme moi ! En quelques minutes, nous avions déjà eu le temps de nous rendre compte que nous étions de même communauté d’esprit. Et les jours qui suivirent nous le confirmèrent. On ne se quittait plus. Nous nous tenions loin des rustres, des grandes gueules, des soiffards, des réalisateurs de radio de nuit, même si nous détestions le genre humain, nous nous accrochions à nous deux. Néanmoins, ce que nous avions devant les yeux était désespérant ! Autant ceux qui partageaient notre sort que ceux qui étaient chargés de nous éduquer !

le_caporal

Comme le canard sur les plumes duquel l’eau glisse, nous nous attachions à ne donner aucune prise aux divers événements que nous devions subir ! C’était un bon gars mon René ! Simple ! Pas bégueule ! Prenant toujours les choses du bon coté ! De bonne humeur ! Fallait nous voir de corvée de chiotte ! Récurer les cuvettes ! Ouais ! Balayer la cour ! Ou faire des pompes, toujours avec le sourire ! Oui… Enfin… Avec le sourire durant trois jours ! Les pompes, la corvée de chiotte, la corvée de pommes de terre, voilà qu’au bout de trois jours, mon René flanche ! Tout de go, il m’annonce que cela ne l’amuse plus ! Qu’il croyait en venant ici sous les drapeaux en apprendre d’avantage sur ses contemporains, et peut-être même sur lui-même. Mais là, maintenant, il n’en a ras le béret !

 

- « Trop bêtes ! Ils son trop bêtes ! » (Enfin, je traduis !)

 

Je le revois encore trente ans après, secouant minablement sa bonne tête pâlotte, blondasse, de jeune homme de bonne famille. Alors au début je m’inquiète à l’idée qu’il pourrait me lâcher, me laisser seul parmi tous ces cons ! Oui ! Lui, il disait bêtes ! Mais moi, d’origine populeuse, je prends pas de gants ! Et puis je me rassure en pensant que comme moi, bah… Hein ! Hé ! Il est en kaki pour douze mois et il prendra son mal en patience ! C’est à ce moment-là qu’il m’a déballé son histoire. Jusque là, il était resté assez flou. Mais là, il se dévoile complètement. Il m’explique qu’il est séminariste, qu’il est vierge, non-fumeur, non-buveur, qu’il a l’amour du Christ, l’adoration du Pape, qu’il est pour la non-violence, que nous sommes tous frères, rompez les rangs, garde à vous, revenez ça roule, en tout cas, il est pas fait pour ça !

 

Euh… Cet après midi-là, le Sergent distribue les armes. Dès que le fusil arrive dans les mains de mon gars René, il le prend pas ! Il le saisit pas ! Il le laisse tomber. Chez le fourrier, ça fait un bruit incongru. Euh ! Le serre-patte déboule, lui crache au visage des mots, des noms, un vocabulaire insoupçonné, il essaye de lui recoller le flingue en forme de clairon sur la poitrine, et… Badaboum ! Mon gars René le relaisse tomber ! Alors l’autre l’attrape par le col du treillis, l’emporte chez le « Pitaine » ! Pardon ! Le capitaine ! Pour ma part, j’y suis convoqué deux heures plus tard. Le petit doigt sur la couture du pantalon, le béret à la main, je réponds aux questions le regard perdu vers la ligne bleue imaginaire des Vosges qui ne le sont pas moins, et en ponctuant chaque phrase par : « Mon Capitaine ! » Sans moucharder, je confirme !

 

- « Ah ! Oui ! Mon gars René, c’est un spécial mon Capitaine ! »

- « Heu ? Comment ça mon Capitaine ? »

- « Pourquoi Pédé mon Capitaine ? »

- « Oui ! Il a de la piété, mais ça n’a rien à voir mon Capitaine ! »

- « L’amour du Christ, l’adoration du Pape, le dégout de tout ce qui touche à la violence, à la bassesse ! »

- « Ah ! Non ! Y boit pas mon gars René mon Capitaine ! Ah ! Non ! Le reste non plus mon Capitaine ! »

- « Mon copain, c’est un vrai mystique !Mais… Il est pas halluciné ! Un brave gars quoi mon Capitaine ! »

 

Un peu plus tard, on m’autorise à voir mon copain, mon nouvel ami au gnouf ! Oui ! On disait le gniouf ! Ben ! C’est comme ça ! On m’avait un peu suggéré… On m’avait un peu donné pour mission de le ramener à la raison. Alors, j’y vais au gniouf moi-aussi, et qu’est ce que je vois ? Qu’est ce que je retrouve ? Mon gars René à genoux, au pied de la paillasse, les bras en croix et en pleurs. Il explique qu’il demandait pardon à tous ceux qu’il avait ennuyé en ce jour gris ! Ah ! Mon dieu ! Qu’il est beau ! Comme un pénitent d’autrefois ! Ceux qui partaient libérer, délivrer le tombeau du Jésus à l’emprise des infidèles ! Pour un peu, je m’agenouillais à ses cotés !

armee

Un peu plus tard, j’lai perdu de vue. Les plus féroces parmi les sous-off me soufflaient qu’on avait expédié mon gars René au pénitencier. Les plus miséricordieux me laissaient espérer qu’il avait été muté auprès des aumôniers, afin de poursuivre dans les meilleures conditions pour lui son service sous les drapeaux et ses humanités. Je le souhaitais, et je priais presque pour que ça lui soit arrivé. Et puis finalement, un mois plus tard, j’ai reçu une carte postale de Paris. Une carte postale de mon gars René. Il avait été réformé finalement. Y m’écrivait :

bidasse

Salut Bleu-bite ! T’as signé, c’est pour en chier ! Hier, comme tous les soirs, j’ai fait la java ! Putes, Whisky, Marijuana! A ta santé Bleu-bite ! Fais pas la gueule, t’as plus que 11 mois à tirer ! Signé : Ton gars René !

quille

Et sa signature était ornementée d’un dessin obscène !

 

 

 

 

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