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Dépèches du Tarn et Saone
15 août 2009

Oui ! C’est lui son chou ! Chouchou !

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 16 Septembre 2008 de Serge Le Vaillant)

C’est marrant, enfin… Façon de parler, mais j’ai toujours entendu dire que les parents ne devaient pas faire de différences entre leurs enfants ! J’ai même lu un jour dans je ne sais plus quelle revue de femme, que lorsque l’on a plusieurs enfants, l’amour ne se divise pas, mais se multiplie.

Chez nous, on était deux ! Multiplier par deux, c’est pas bien compliqué à ce que je sache, et sans me vanter ! Et ben non ! Ca ne se passait pas comme ça !


freres

Pour vous rassurer parce que nous me semblez bien inquiets soudainement, euh ! Je vais mettre mon père hors du coup tout de suite ! Je ne sais pas s’il était capable de sentiments dans le domaine de l’affection. Oh ! Bien sûr, il n’aurait pas apprécié qu’il nous arrive du mal ! Qu’on soit malpoli avec les voisins, qu’on soit à table à l’heure, ou qu’on crie un peu fort autour de lui.

paternel

Pour le reste, il considérait philosophiquement que l’élevage des drôles était affaire de femmes. Et il laissait ça naturellement à notre mère ! C’est qu’il portait en lui la mémoire et les devoirs des grands anciens qui sortaient de la caverne, en homme, pour aller traquer, chasser le Mammouth et quand ils revenaient, et ben, fallait qu’il y ait du feu, que la soupe soit chaude, et que les gamins soient pas trop remuants, ni bruyants !

Mon père était chef d’équipe aux abattoirs Boulard et Fille !

abattoir2

Quand il rentrait, fatigué, il prenait ses douze apéritifs et après avoir descendu deux chopines, il allait se coucher avec la conscience tranquille. Parfait, c’est certain, il gueulait que les choses n’allaient pas bien en ce monde comme il l’aurait souhaité. Ca ne durait guère ! Deux, trois phrases manière d’évacuer le trop-plein.

Parfois, il cognait ! La plupart du temps, la table ! Et puis moi, de temps en temps, parce que la mère avait dénoncé quelques forfaits que j’avais dû commettre ! Oh ! C’était dit et c’était fait sans méchanceté ! J’en voulais seulement à la mère, qui ne savait pas se taire, sinon quand son époux tapait du poing sur la table, ou quand y avait une émission à suivre à la télévision.

Ma mère, elle, elle s’emmerdait tellement dans la vie qu’elle emmerdait tout le monde !

Elle emmerdait tout le monde !

Sauf mon père, bien sûr ! Parce qu’il n’était guère psychologue, ni patient.

Sauf mon frère, bien sûr, puisqu’il était son préféré ! Son chouchou !

 

le_frangin

A partir de quel âge me suis-je aperçu qu’elle faisait des différences entre Marcel et moi ? Une succession de petits signes :


 


- Les plus belles parts de viande pour lui !

- Les fruits les moins gâtés ! Ah ! Oui ! C’était une tradition à la maison ! Il fallait manger les fruits esquintés en priorité, avant qu’ils ne pourrissent complètement. Résultat, on ne bouffait que des fruits pourris ! Sauf Marcel, bien sûr !

- Lui, il était pris dans les bras, moi, je n’avais que des fausses bises ! Vous savez ! Avec les lèvres qui ne touchent pas la joue de l’autre ! Des bises dans le vent.

- Marcel avec les sourires, moi, j’avais les grimaces.

- A Noël, les cadeaux les plus beaux, sous prétexte bien sûr qu’il était plus grand, plus âgé que moi !

- Tiens, pour sa communion solennelle par exemple, il a eu un vélo. Et quand j’ai fait la mienne, lui, il avait déjà un vélo de course. Alors, j’ai hérité le vieux bicloune, et pour ma communion, comme il fallait quand-même me faire un cadeau, marquer le coup, on m’a offert des sacoches pour le vélo… Des sacoches… C’est vrai que c’était plus pratique pour aller faire les commissions !

Avant que je ne vienne au monde, Marcel avait eu une maladie. Une maladie dont plus personne ne se souvenait du nom compliqué ! Une maladie qu’on voulait oublier. Ma mère avait cru le perdre son Marcel ! Heureusement, ses bons soins l’avaient sauvé !

Moi, quand je suis arrivé, j’étais un gros bébé ! D’la mauvaise herbe qui poussait sans qu’on s’en préoccupe ! Adolescent, malgré mes trois ans de différence, j’faisais déjà la même taille que mon frère ! Avant de le dépasser ! On ne jouait pas ensemble. Le foot, les cabanes, les courses avec les copains, ça ne l’intéressait guère ! Les clopes, bousiller les vitres au lance-pierre. Tututut ! C’était pas son truc ! Il préférait ses illustrés. Rester à la maison devant la télévision, se gaver de sucreries.

Moi, la mauvaise graine, je rentrais toujours en retard. Mes habits, mes vêtements esquintés, déchirés, au mieux, on me prédisait que je finirais sur la guillotine ! Au pire…

Curieusement, j’ai jamais été jaloux de mon grand frère. En revanche, Marcel qui avait tout, qui avait mieux, lui, il était jaloux ! Réclamant sans-cesse les miettes que je pouvais récolter ! Ah ! Mais y a des caractères comme ça ! Tous les défauts du fils unique sans en avoir les qualités ! TPSG ! Tout pour sa gueule ! Et pas bien costaud avec ça ! Alors, on évoquait à son sujet un futur d’intellectuel ! Ma mère, ma très chère mère traduisait ça en parlant pour lui d’une position assise. Non, mais, chez elle, ça voulait dire assis derrière un bureau ! N’importe-où, à faire n’importe quoi, mais assis, peinard, tranquille jusqu’à la retraite. Rond de cuir!

Hélas, ça n’a pas assez bien marché pour lui à l’école! Mais, la mère n’a pas baissé les bras pour autant ! Elle l’a inscrit à des stages, à des leçons particulières, elle a dépensé un fric fou, une fortune en l’abonnant à des cours par correspondance qui, au mieux, délivrent des diplômes bidon ! Il les a pas eu. Il n’était pas fait pour ça, ni pour autre chose d’ailleurs ! Et il avait pourtant un talent Marcel. Il imitait très bien Richard Anthony !


 

richard_anthony

Non ! Mais je plaisante pas ! Et c’est vrai qu’il chantait pas mal mon frère Marcel !

 

- Quand j’entends siffler le train

- Itsi Bitsi Petit bikini

- Nouvelle vague

- Le sirop typhon

Il avait un joli succès dans les boums, les surprises parties, et même dans les fêtes de famille !

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Et puis, il a intégré le groupe de Raoul Mozart et ses Mazouts ! Alors-là, ma mère ne touchait plus terre ! Elle manquait jamais un gala. Et pourtant, il chantait quoi ? Deux-trois chansons à la manière de Richard Anthony ! Quand elle se retrouvait à la maison, la tête dans les étoiles, elle sortait du papier à lettre et elle écrivait à la radio, à la télévision, à des Guy Lux, des Raymond Marcillac, des Denise Glazer, des Albert Raisner, des Jean-Pierre Descombes, des Patrick Topaloff.

Y en a qu’un seul qui a répondu. Poliment, gentiment. Vous savez qui ? Michel Drucker !

drucker

Enfin… C’était sympa, ça n’a rien changé et ça n’a rien donné. Il conseillait seulement à Marcel de s’inscrire au petit conservatoire de Mireille ! Ca n’a pas marché coté carrière de chanteur, qui se faisait appeler à ce moment-là Elvis Gandon. Mais en revanche, ça marchait bien avec les filles ! Alors là ! Putain d’avorton ! Fallait voir tout ce qu’y s’levait le cochon !

pig

La chanson, les mecs chétifs, c’est connu ! Ca leur paralyse le cervelet aux nanas ! Elles sont plus les mêmes ! Elles deviennent vraiment des animales !

Vers ses 24-25 ans, il s’est calmé ! Il a épousé la Brigitte Guilcher.

mariage

La fille au marchand de couleurs. Il a passé la blouse bleue en même temps qu’il passait l’alliance à son doigt. Après trois ans, à la mort du père Guilcher, voilà ! Il était patron ! Enfin… En titre !

Moi, je travaillais avec mon père aux abattoirs Boulard et fille.

abattoir

Oh ! Ma mère m’avait prévenu tout de suite ! On n’allait pas me pousser dans des études inutiles ! Je pouvais pas rester une bouche à nourrir ! Alors, je donnais ma paie.

parents

J’ai du en offrir des vestes à paillettes, des chaussures bicolores à talon compensé à Marcel, au temps des espoirs !

Curieusement, mon grand frère, il s’est toujours pris pour la vedette qu’il n’a jamais été ! Malgré la blouse bleue, il continuait d’entendre siffler le train ! Il savait pas ce qu’il lui arrivait ! Je suis encore amoureux de ma femme ! Non ! Il était pas amoureux de sa femme ! Il continuait de cavaler sous des prétextes de livraisons ou de bricolage !

Sur la communauté de communes, il était réputé pour ça ! Ma mère le savait, elle l’avait appris ! Elle était fière que son grand plaise, qu’il ait du succès au fond ! Un autre succès, dans un autre domaine ! Hé ! Dans un autre domaine ! Mais c’est comme pour le show-biz ! Tout passe ! Tout lasse ! Vers la cinquantaine, il a jeté les gants, l’éponge !

valise

Divorce, et puis il a remarié une jeune pharmacienne de Plourhinec-Kermaleur.

pharma

Il a raccroché à tout jamais la blouse bleue, et il en a endossé une autre, une blouse blanche ! Ah ! Oui ! Oui ! C’est lui qui sert avec son épouse à la pharmacie de Plourhinec ! Oh ! Il lui demande parfois un conseil à son épouse ! Quand c’est mal écrit sur les ordonnances ! Il en a fallu pas plus pour que ma mère clame :

blause_blanche

- « Mon fils ? Le pharmacien ! »

Ouais ! Il avait largué femme et enfants, et ma mère expliquait que ces gens-là ne le méritaient pas ! Qu’il valait mieux que ça !

Je l’ai jamais jalousé. Oh ! Des fois, ça m’a énervé ! J’dis pas ! A ma mère, j’ai jamais rien reproché non plus ! J’lui ai parlé de rien. C’est aux abattoirs Boulard et fille, après que mon père ait passé la canne à pêche à droite qu’un ancien m’a soufflé un début d’explication.

pere

Marcel, c’est vrai qu’il était de santé fragile dès le départ, et qu’il l’est sans doute encore ! Mais, Marcel n’était pas vraiment mon frère. Seulement à moitié. Il était le fruit d’une aventure que ma mère avait connue pendant que mon père était à son régiment. Une aventure avec un accordéoniste d’Issougny-les-Crémones qui faisait les bals alentour !

accord_onistes

Oh ! L’affaire s’était sue ! Enfin… Ma mère ignorait que ça s’était su, mais… Puis surtout, personne n’a jamais rien dit à mon père ! Pourquoi ? Pour lui faire du mal ? Chacun ses histoires. Les affaires de famille, le linge sale ! Vous voyez quoi ?

Bon ! Il est pas mon frère ! Pas tout à fait ! Mon demi-frère ! Ouais ! Et alors ? Que j’ai pensé ! N’empêche, c’est pas une raison pour faire une différence entre ses enfants !

C’est ce que je dis toujours à Paulette, qu’a tendance à favoriser notre cadet !

georgette

Oui ! C’est lui son chou ! Chouchou !

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