« Fais gaffe mon gars ! Elle est méchante ma fille ! »

8 ans ! 8 ans que je n’avais plus entendu parler d’elle !

Ah ! Mais, la vie, c’est comme un ouragan ! Et on est peu de chose croyez-moi !

On est peu de chose ! Surtout certains réalisateurs de radio de nuit !

8 ans ! Suzanne ! Elle ressemblait à Ingrid Bétancourt ! Eh ! Pourquoi pas ? Mais alors Ingrid Bétancourt période mannequin. Elle était très belle Suzanne. Ingrid Bétancourt, elle est encore mieux maintenant ! Moi, j’ai toujours pensé comme ça ! Une femme, avant 40 ans, c’est pas une femme ! C’est informe, c’est sans caractère ! Une femme avant 40 ans, j’en voudrais pas chez moi !

Et pourtant, Suzanne, quand je l’avais connue, elle avait seulement 32 ans, enfin, par-là ! Suzanne ! Un an de passion !

J’m’étais pas méfié ! Enfin… Si ! Un peu ! Parce qu’elle m’avait rapidement présenté à ses parents ! De braves vieux !

Lui, le père, c’était une gueule à fioul !

Il s’en envoyait derrière la cravate et il n’en mettait jamais à coté ! A la fin de ce premier déjeuner, il était poivre ! Schlass ! En me servant une poire qu’il obtenait par le beauf d’un cousin avec une combine, un beauf d’un cousin qui demeurait à Orléans, c’est vrai qu’ils aiment le fruit par la base ! Et puis, ils savent déguster ! Ils savent siroter, apprécier ! Tandis qu’à Châteauroux, y boivent comme des trous ! Ah ! C’est connu ! Ca a été prouvé scientifiquement ! J’ai un oncle qui était flic par là-bas.

Bref… Le père, en me servant une poire, il me souffle, outre son haleine chargée :

- « Fais gaffe mon gars ! Elle est méchante ma fille ! »

Finalement, franchement, sincèrement, sans me vanter, j’lai entendu mais je suis pas allé plus loin. J’veux dire, j’ai zappé ! Je veux dire encore, j’ai pas posé de questions ! A personne !

J’ai pas cherché, ou j’ai pas voulu en savoir d’avantage. J’ai mis ça sur le compte de l’alcool. J’ai mis ça sur le compte d’un passif qui les liaient nécessairement tous les deux. Un passif auquel j’étais, et je voulais rester étranger ! Tout-de-même ! Tout-de-même ! Comment un père, pardon ! Comment un père peut qualifier sa fille de méchante ? Oui ! D’accord ! En bas-âge :

- « Suzanne, t’es vilaine ! Suzanne, elle a pas été gentille ! Elle a été vilaine de voler la sucette à Thomas ! Ou de mordre le fils Fortin, qu’est pourtant pas une lumière ! Mais c’est pas une excuse ! Ou de crever une varice a tata Fabienne ! Oui ! Même pour jouer, ça ne se fait pas ! T’es méchante ! »

Quand je l’ai rencontrée, elle avait 32 ans ! Méchante ? Méchante ? Moi je lui trouvais d’autres qualités qui effaçaient les soupçons de méchanceté ! Et pourtant, je ne suis pas et ai jamais été maso ! Ni sado d’ailleurs !

Et pourtant, c’est vrai qu’avec Suzanne, ça a été très sexuel ! Ah ! Tout de suite ! Ah ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Tout de suite ! Pas le premier soir ! Moi, j’ai jamais été du premier soir ! Non ! Pour vous dire, monsieur, que je ne suis pas un garçon facile !

Moi, ce que j’aime, c’est les glissements progressifs du plaisir !

- Premier soir, le baisemain.

- Le lendemain, à la rigueur, peut-être, baiser de cinéma : un smack !

- Troisième jour, soupe de langue.

- Quatrième soir :

o tête de veau sauce gribiche

o lézard peureux

o un coup j’te vois, un coup j’te vois pas

o l’escabeau bulgare

o la grenouille baveuse n’a pas dit son dernier mot

o le cactus en fleur

o mais où est passé Mirza ?

o c’est la chenille qui redémarre

o le petit bonhomme en mousse

o tous les oiseaux, tous les bateaux

o La bobinette cherra

o Le missionnaire accroupi dans la bergerie

o Si tu vas à Rio

o L’imposition des mains

o Le souffle chaud

o La valse a mis-le-temps

- Et puis le cinquième soir, éventuellement, un peu plus, si affinités.

Mais qu’est ce que vous voulez que je vous dise ? Elle était très sexuelle Suzanne ! Personnellement, en ce qui me concerne moi-même, d’habitude, je préfère les blondes !

Que d’autres trouvent fades en général ! Alors je précise pour qu’on se mette bien d’accord ! Pour pas passer pour un idiot ! Les blondes qui ont des tâches de rousseur et des grains de beauté !

Ah ! Oui ! Mais faut que j’arrête d’en parler, sinon… Pffou ! J’vais plus pouvoir poursuivre ! Ca me paralyse le cervelet. J’suis plus moi-même ! Les blondes avec des tâches de rousseur sur le nez et des grains de…

Et pourtant, Suzanne, elle avait rien de tout ça ! C’était une vraie brune ! J’précise, parce que j’ai rencontré des fausses brunes ! Ah ! Oui ! Oui ! Ca existe des fausses brunes ! Ah ! Mais ! Y a de tout de part le vaste monde ! Hé ! Hé ! Vous z-avez pas fini d’en voir ! Avec Suzanne, c’était très, c’était même plus que sexuel ! C’était épidermique. J’touchais sa peau, c’était mon Amérique à moi ! Même si je me disais qu’elle était trop bien pour moi comme disait son cousin Gaston ! Alors lui, excusez-moi m’dames-messieurs, une truffe ! Une vraie truffe ! Marié à une fille Gandon ! C’est tout dire ! Remarquez, la fille Gandon, c’était une rousse ! Non ! Plutôt rouquine ! Avec des grains de…

Mais, c’est vrai qu’elle était méchante Suzanne ! Elle m’a fait, elle m’a beaucoup ennuyé, beaucoup embêté. Presque deux ans ensemble. Sur les deux ans, bon, ben ! J’vais pas sortir la calculette, mais, disons… Sur les deux ans, trois-quatre mois de bonheur parfait. Le reste, comment vous dire ? Comment vous expliquer si vous avez jamais vécu ça ? C’était l’amour passion : Je t’aime, je te hais ! Et le combat de boxe tous les soirs ! Il s’entend verbalement ! J’y ai jamais mis une tarte à la Suzanne ! C’est pourtant pas l’envie qui m’a manqué ! Mais, y a que les ordures qui font ça ! Ah ! Oui ! Faut savoir ! Faut se contrôler ! Sinon, on n’est pas un homme digne de ce nom ! Moi, je me suis retenu ! Mais alors, des soirées…

Bon sang de bois, saperlipopette et vache enceinte ! Et pourtant, on n’a qu’une vie ! Carpe diem ! On se retrouvait après le boulot ! Peinards ! Moi, j’apportais de quoi nous faire un petit diner aux chandelles ! En amoureux ! Eh ! Eh ! Après deux-trois mois de liaison, c’est pas tout le monde qui fait ça ! Moi, j’en connais qui se vautrent devant la télé, qui invitent des potes en survêtement pour jouer à la wii fit ! Non ! Franchement, vraiment ! Franchement ! Sans me vanter, moi, j’étais très bien ! Ah ! Oui ! Vraiment ! Très, très bien !

Et elle ? Elle tirait la tronche ! Fallait voir le gueule ! Et puis tout de suite, de vannes ! Des vannes à propos de mon épouse ! Ah ! Oui ! C’est vrai que j’étais marié à l’époque !

Qu’est ce qu’elle était belle ! Ah ! Pour une brune ! Ah ! Oui ! On a passé du bon temps ensemble ! Qu’est ce je l’ai aimée ! Ah ! Je l’ai aimée ! Et c’était pas facile ! Elle avait 32 ans, elle avait eu une vie de jeune-fille avant moi ! Un gars digne de ce nom, il aime surprendre sa partenaire ! Se faire apprécier et elle, elle avait tout vu !

C’est qu’elle aimait les voyages !

- En Thaïlande, un guide qui lui avait fait le coup du poirier sous la douche.

- Au Club Med, à Djerba, le chameau, le couscous-brochettes, et pendant la prière ! Au moment de la génuflexion !

- Et puis en Australie, on lui avait fait connaître le Kangourou plaisantin et le koala dorloteur ! C’est le patron du camp de vacances qui lui avait fait connaître ça !

- Et puis en Turquie… Non ! Non ! J’veux rien dire ! Je ne peux rien vous répéter de ce qu’elle avait connu et de ce qu’elle m’avait raconté concernant la Turquie.

- Quant à la Grèce…

Pourquoi elle me racontait ça ? Pourquoi elle me disait ça ? Mais, elle était méchante ! Oui ! C’était pour m’asticoter ! Pour me faire c… Pour m’embêter ! Pour m’ennuyer ! Un soir où elle n’évoquait pas mon épouse et mes trois enfants, un soir où elle ne me menaçait pas en me proposant de quitter ma famille, un soir où nous étions alanguis, elle nue, mais vraiment toute nue ! Vraiment nue ! Plus que nue ! Allongée sur une peau de Teckel, sur le canapé, un verre de Labrador-Mimosa à la main, Moi en boxer bien cintré, poutre apparente, chaussettes de nylon noir adjacentes, j’lui ai demandé :

- « Mon amour ! Qu’est ce qui pourrait vous surprendre et vous faire plaisir ? »

Ah ! Oui ! On se voussoyait, à ce qu’il paraît, est toujours plus érotique, même avec les subalternes ! Elle m’a répondu :

- « Faire l’amour à trois ! »

- « A trois ? » Moi, très con :

- « Avec une autre fille ? »

Et non ! A trois, pour elle, c’était avec un autre mec !

J’ai avalé une couleuvre bien sèche ! Qu’est ce qui se passait ? Je ne lui suffisais pas ?

- « Mais ! A trois, avec un autre mec, mais ? Avec qui ? On va passer une annonce et on va voir débouler n’importe qui ? Un rachitique blanchâtre et baveux ? Un réalisateur de radio de nuit pervers à l’extrême ?

Un gros nounours poilu ? Euh ! Dans ces cas-là, moi je suis pas sûr de pouvoir assurer mon amour ! »

- « Quoi ? Un copain ? Un ami à moi ? Vous pensez par exemple que mon ami Jean-Claude Montsigny, président de la caisse d’assurance-maladie d’Issougny-les-Crémones, s’il se prête au jeu ? »

- « Ah ! Mais moi, de la voir ôter son costard trois-pièces, ça va me mettre pas vraiment dans les meilleures conditions ! »

Un autre mec ! Finalement, parce qu’on vit dans un monde moderne qui bénéficie d’une technologie avancée, et sans-cesse en évolution grâce à notre gouvernement, on s’est rabattu sur la mécanique ! Comment dire ? Comment vous dire dans cette période de politiquement correct où on ne peut plus appeler un chat un chat ? Comment dire ?

Le troisième, le supplémentaire, ça allait être un sexe-t-oeil ! Vous voyez le genre ! Un sexe-t-œil ! Oui ! Un godemichet ! Un vibro-ma-tante ! Un olisbos comme disaient les anciens ! Mais ! Cet objet, fallait l’acheter !

Je m’suis dévoué ! J’suis donc allé dans un sexe-choppe !

Je vous jure ! La honte de ma vie ! D’abord, comment y entrer ? Tout en étant sûr de ne pas rencontrer Paulette coiffure, qui forcément, risque de passer dans la même rue ? Et une fois rentré, pas tomber sur certains réalisateurs de radio de nuit, qui sont des fréquents de ces endroits-là !

Qu’est ce qu’on se dit dans ces cas-là quand on se rencontre ? Et le pire ! Je l’ai vécu ! Devant l’étalage, devant la vitrine des sexe-t-œil’s, quand le vendeur, peut-être le gérant, est venu me retrouver avec le sourire niais de l’intellectuel de gauche, pour me demander :

- « Quelle taille ? Quelle couleur ? C’est pour quel usage personnel monsieur ? »

C’était pas pour moi ! Et puis l’autre, la Suzanne, qu’a déboulé dans le magasin, parce qu’elle s’impatientait ! Oui ! J’avais tardé ! Nos regards se sont croisés, elle a fait semblant de ne pas me connaître, de ne pas être concernée dans cette affaire !

Oui ! Finalement, elle était méchante cette fille-là ! Les pères, ont souvent, ont toujours raison ! J’aurais du l’écouter l’autre gueule-à-fioul !

Paraît qu’elle m’a appelé il y a quelques jours ! J’ai pas répondu !