La Ferme-auberge du Chatelet-sur-Souilly

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 24 Juin 09 de Serge Le Vaillant)

Durant toute l’année, elle me parle des vacances. Ah ! Dès l’automne, elle exprime des regrets de ne pas en avoir assez profité. Puis, en hiver, elle poursuit.

- « Ah ! J’ai besoin de soleil ! J’ai besoin soleil ! Il me tarde ! J’en peux plus ! »

Pour casser la déprime, pour la contrer au moins, elle va faire des UV… ou plutôt en recevoir, chez Raymond esthétique, sur le boulevard Guy Mardel. Plus tard encore, elle achète toutes sortes de magazines qui vantent des escales touristiques. Ca la fait rêver ! Elle consulte pendant des heures les devantures des agences de voyages.

Au printemps bien entamé, elle retrouve le sourire. Un semblant de sourire. Elle raye les jours sur le grand calendrier qu’elle a dans son bureau à la caisse d’assurance-maladie.

Et puis finalement, en Juin, en Juin… Eh ben ! On sait toujours pas où on va ! J’lui dis :

- « Hé… C’est maintenant que tu te réveilles ? »

Elle est comme ça ma mienne. Elle se met trop de pression sur ses petites épaules ! Elle est comme ces athlètes de haut niveau qui se retrouvent submergés et anéantis pas la peur de gagner lorsqu’ils sont en finale ! Comme ce type qui n’ose pas tirer le penalty !

Personnellement, en ce qui me concerne moi-même, je me contrefous comme des années soixante de la destination des vacances ! Pour les congés, je n’ai que deux exigences :

- Ne rien faire ! Ne rien faire !

- Deuxième exigence : Ne pas aller chez ses parents ! Non ! Pas chez ses parents ! Ca, j’ai déjà donné !

Le 15 Juin, jour béni de la Sainte Germaine, C’est mignon Germaine ! Au lieu d’appeler les petites filles aujourd’hui Vanessa, Pamela, Paris…

Germaine ! Comment elle s’appelle votre petiote ? Germaine ? Ahahahah ! Vous allez voir dans vingt ans ! Ca va être hyper mode ! Hyper mode !

Le 15 Juin, Sainte Germaine, ça ne s’invente pas ! Ma mienne, elle passe sa soirée devant l’ordinateur ! Bien entendu, toutes villégiatures sont déjà complètes, elle n’ont pas attendu madame ! Elle poursuit ses recherches le lendemain, jour maudit de Saint ? Vous le dites à ma place ? Après la Sainte Germaine, c’est qui ? C’est Saint Régis ! Et là, elle me coince au moment de l’apéro pour me dresser le bilan de ses trouvailles :

- Elle a trouvé un séjour sous yourte à Boussois près de Maubeuge.

- Une remontée du Nil jusqu’à Tremblay-Lès-Gonesse en kayak deux places.

- Un stage de philatélie naturiste à Sidi-Bel-Abbès.

- En location, un F2 à Massy-Palaiseau.

- La visite des cimetières militaires de la Marne.

- Une ferme-auberge au Chatelet-sur-Souilly

- Un demi-emplacement, mais à l’ombre, près des sanitaires, au camping des Oursins bleus à la Grande-Motte.

Et elle conclue nerveusement d’un :

- « Et j’te préviens, hein ! C’est tout ce qui reste ! Si ça te plaît pas, t’avais qu’à chercher toi-même ! Sinon, on peut toujours aller chez ma mère !»

Au cours de ses litanies, de ses propositions que j’ai abrégées ici, j’avais en particulier retenu le mot auberge ! J’ai demandé, manière d’obtenir des infos complémentaires :

- « Mais, c’est où ton Chatelet-sur-Machin ? Le Tarn-et-Saône ? »

Ah ! Mais une nuit, à la radio, j’avais entendu parler de ce beau et grand département ! Bah ! C’est connu ! C’est prouvé scientifiquement en laboratoire, c’est toujours la nuit qu’il y a des émissions des plus intéressantes qui permettent de se cultiver ! Et à la radio, la nuit, ils en disaient beaucoup de bien du Tarn-et-Saône. Et c’était pas du spot de réclame qu’on se demande quel gogo peut tomber dans ce piège là ! Ouais ! Elle est belle la France !

Ah ! Les pauvres gens ! J’lui dis :

- « Ben ! Allons en Tarn-et-Saône ! Allons-y dans ta ferme-auberge ! »

Heu… Franchement, en arrivant là-bas, on a été saisi par des angoisses ! Ah ! On a pris peur ! Déjà, faut s’imaginer qu’y a pas de route ! Seulement un chemin de terre, presqu’un chantier même pas entretenu soit dit en passant! Avec de l’herbe, des touffes d’herbe au milieu de la chaussée. J’aurais pas eu le 4X4, j’suis pas sûr qu’on serait passé !

Qu’on serait pas resté dans un nid-de-poule !

Tout ça pour arriver à un bâtiment qui ressemblait d’avantage à une ancienne exploitation agricole qu’à une ferme-auberge ! Enfin ! Faut pas me prendre pour une truffe !

Dès qu’il entend le moteur de notre voiture, un type se pointe dans la basse-cour. J’ai eu encore un espoir que ça soit pas à cet endroit ! Qu’on se soit enduits dans de l’erreur ! Donc, je vais pour demander au gazier en question le chemin de la Ferme-auberge. J’lui demande à l’autochtone, au local ! Je baisse ma vitre, et alors, et alors… soudainement, une odeur incroyable me pique violement les yeux ! J’arrive à articuler toutefois ma question.

- « Ah ! Ben c’est ici ! » Qu’y me répond en souriant !

Sincèrement, j’vais pas vous mentir, on a failli repartir ! Mais, j’vous le dis comme je le pense, oui, finalement, j’ai été lâche ! Je suis allé jusqu’à m’imaginer que l’indigène pouvait relever ma plaque minéralogique et porter plainte ! Et puis je sais pas… Les effluves de purin, de fumier, de lisier, de bouse, de fiente, tout ça mêlé, tout ça a du me griser au point de me faire perdre la tête.

Ah ! C’est donc ça une ferme-auberge ?

Bon, le coté ferme, je le nie pas ! On y est logés, nourris, et on va même jusqu’à nous conseiller quelques activités-animations du cru ! De quoi je vais me plaindre ? De quoi ?

Trois semaines payées d’avance ! Trois semaines ! Sous un temps exécrable ! Donc, euh ! On passait la plupart de nos journées coincés à la ferme… auberge avec les propriétaires.

M’sieur et m’dame Gandon ! Enfin, comme ils ont dit dès que nous sommes arrivés : « Pas d’façons ! Pas de m’sieur et m’dame ! »

Alors lui, c’est Nano ! Nano ! On imagine tout-de-go le genre, mais, ça vaut le jus de donner quelques précisions :

Presque la cinquantaine, le front dégarni, mais avec un catogan. C’est un fait prouvé astrologiquement, plus un mec perd ses cheveux devant, plus il les laisse pousser derrière ! Manière de compenser sans-doute, quand il ne se les ramène pas carrément, voyez le genre, les poils des épaules sur le front pour faire comme… Les poils des épaules… Mal rasé, un pull avec des trous, les ongles en deuil, le genre fermier comme moi j’suis bricoleur, qu’aurait plutôt fumé du Pink Floyd roulé dans du Stivell au lieu d’apprendre à traire les vaches ! Lui-même ! Un baba cool de première ! Et ça se prétend fermier aubergiste !

Et puis alors, ya elle ! La femme de Nano ! Ou plutôt… La femme à Nano ! Comme on dit ici ! Alors elle, une vraie romano ! Valérie. Valoche qu’il l’appelle ! Valoche !

Nano et Valoche !

Elle, à peine peignée, le reste j’veux pas le savoir, surtout que c’est elle qui s’occupe de la mangeaille ! Rousse, genre balai dépoussiérant, avec de grandes jupes cache-misère. Ah ! Puis y a surtout un truc qui m’énerve, c’est qu’y z-ont toujours le sourire ! Y sont contents de tout ! Y sont contents de vivre, y sont réjouis d’eux-mêmes, quoi qu’il arrive ! Le sourire, des mots aimables, y sont toujours d’accord !

Franchement, y donnent l’impression d’un couple parfait qui s’aime ! Alors que je suis sûr que c’est pas vrai ! Ca existe pas le couple parfait ! Enfin ! De toute façon, avec tout ce que racontent les journalistes, à la TV, afficher un bonheur pareil, c’est une honte !

Tiens ! La télé, puisqu’on en parle ! En Tarn-et-Saône, y a que trois chaines ! Y reçoivent que trois chaines ces arriérés du moyen-âge !

- Alors, y a la locale, France 3 Surche, et ça cause en patois pour les infos.

- Bon, y-z-ont la première chaine couleur, la première chaine couleur… faut être femme pour regarder ça !

- France 2, qu’ils appellent encore Antenne 2 ! Qui blanchit nos impôts !

Trois chaines ! Ah ! Moi, j’étais comme dingue ! Qu’est qu’elle a dit elle ? Ah ! Oui ! Valoche !

- « Y vaut mieux regarder le feu ! Y a plus de plaisir ! »

J’ai pas tout compris !

Après deux jours, on n’est plus les seuls hébergés ! Y a un autre couple qui est arrivé. Enfin… un couple, si on peut appeler ça comme ça ! Pas mariées, comme de juste, en concubinage notoire, manquerait plus que ça ! Un couple de filles !

Oui monsieur ! Un couple de filles ! Ca existe ! Quand j’ai dit mon sentiment à ma femme, elle voulait pas me croire au début ! Mais, y a des signes qui trompent pas ! Deux copines ? Non ! Y en avait une qu’était peignée comme ça se faisait en Bulgarie dans les années soixante ! Pour les hommes ! Enfin, personnellement, j’ai pas été élevé comme ça moi ! J’sais quand-même me tenir ! Mon épouse, effrayée ! Effrayée constamment que je fasse une sortie déplacée, je sais me tenir ! Gentleman ! Même à une table rurale !

Maintenant, les Lesbiennes, j’ai rien contre ! Surtout quand elles sont blondes, avec des bas-résilles, des escarpins, et qu’elles se font des choses coquines dans les films cochons ! Ah ! Là ! Ca me déplait pas les filles entre-elles ! Mais… alors-là ! Non ! Ah ! Non ! Ca pouvait pas être mon genre de beauté ! J’vous l’ai dit ! L’autre, les cheveux en brosse, le short tyrolien…

Bon… J’avais rien à leur dire ! Par bonheur, elle étaient jamais là en dehors du repas du soir ! Toujours à faire, comment elles disaient ? Des adeptes de la randonnée ! C’est à dire, en bon français, d’la marche à pied quoi ! De la marche à pied ! Tu parles d’un plaisir ! Pour ce qu’il y a à voir d’intéressant dans le coin, à part le bocage, les forets, la vallée de la Surche, les rives du Souilly…

Nous, on y est allé en 4x4 hein ! Ca nous a pris trois heures ! Franchement ! C’est partout pareil ! La campagne j’veux dire ! On les a retrouvées, on les a rencontrées un jour à la chapelle Saint Hypocrite ! Nous, on était à la buvette, près du parking, et elles, avec leurs sacs à dos, elles sont passées, on a fait comme si on ne les avait pas vues, comme si on ne les connaissait pas ! Un autre monde !

Oui ! Un autre monde pendant trois semaines à la Ferme-auberge ! Fallait voir les menus ! Et puis, y avait pas moyen de choisir !

- Légumes du jardin lavés à l’eau de la citerne où doivent clapoter trois grenouilles et trois lézards.

- Les lapins du clapier. Fallait voir la Valoche les assassiner les lapins et leur retirer le pyjama du Jeannot après les avoir énucléés pour qu’ils saignent bien! Et puis alors pas de contrôles vétérinaires !

- Pas plus pour les poulets de la ferme !

Ah ! Nous, avec ma mienne, on mangeait du bout des lèvres, du bout des dents !

Pas de télé ! De la bouffe bio ! Les gazons maudits qui rentraient de randonnée et qui puaient la sueur ! Enfin… Ca sentait encore pire dehors ! Parce qu’ils avaient deux vaches aussi ! Non, mais vous croyez pas qu’en 2009, y pourraient leur apprendre le caniveau aux vaches ? Le lait frais le matin avec la peau dégueulasse ! Dégueulasse ! La peau du lait dans la casserole ! Ahhhh ! Désolé, moi, je bois que du pasteurisé ! Et même du demi-écrémé !

Un jour, ils ont cru, ils ont voulu nous faire plaisir en nous faisant de la langue de veau. Du veau élevé sous la mère ! Ah ! L’autre, une fois qu’il avait dit du veau élevé sous la mère, il croyait avoir tout dit ! De la langue de veau sauce gribiche ! De la langue de veau ! Mais comment on peut bouffer, c’est pas manger de la langue de veau ! Comment peut-on bouffer un truc qui sort de la bouche d’un animal ?

Nous, avec la bourgeoise, ce soir-là, on s’est fait des œufs ! Non mais y a pas de raison ! On paie ! On fait ce qu’on veut ! Et puisque y a pas moyen de se faire livrer une pizza, mais les pauvres gens ! Pas moyen de se faire livrer une pizza ! Incroyable ! Incroyable ! Vous savez le pire ? Non ! Vous pouvez pas savoir ! Y avait même pas un kébab sur le canton ! Comme j’vous le dis ! Ah ! Des arriérés du Moyen-âge !

Sinon ? Oui ! Nature ! Très nature ! Oui ! Belle campagne ! Le problème, comme on en parlait avec Nano et Valoche et ma mienne, le problème, c’est comme partout :

Y a de plus en plus de cons !