Raoul Boulard gagnant d'un jeu télé

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 11 Juin 09 de Serge Le Vaillant)

Ils ont débarqué chez lui lundi dernier vers 11 heures. Oh ! J’veux pas vous mentir ! Vers 11h08 peut-être ! Sans prévenir, comme de juste !

Il était en train de mettre sa casquette pour sortir ! Ben ! Y faut bien sortir, prendre l’air ! C’est pas bon de rester entre ses quatre murs ! On attrape vite la neurasthénie, plus vite qu’il n’en faut pour le dire ! Lui, tous les matins, il se force, vaille que vaille, quel que soit le temps, il passe un blouson, il met la casquette, et il va acheter le pain et les journals au petit bar de l’Escale, en haut de la côte du Paradis.

Bah ! Oui ! C’est le bar qui fait dépôt de pain et de presse ! Y fait aussi un peu la Poste, sauf pour les histoires d’argent. Faut bien relayer les PTT, qu’ont tant de boulot et tant de problèmes !

Au petit bar de l’Escale, le pain, les journals, et un canon. Dès qu’il l’aperçoit, le patron, l’Olivier, les sert avant même qu’il ne pénètre dans la boutique.

- « Bonjour messieurs-dames ! »

Le blanc sec est déjà sur le zinc ! On prend des nouvelles des gens du pays. Ah ! Ouais ! Y font ça aussi au petit bar de l’Escale ! Radio locale ! Mais aujourd’hui, rien de tout cela. 11h, 11h08 à tout casser ! Il allait partir, ça sonne à la grille.

Il dit la grille, c’est la porte en fer forgé au bout du jardin. Ca sonne, ça insiste, les chiens qui se mettent à gueuler. Une fois qu’il sont calmés, il va ouvrir. Enfin… Il va s’enquérir de la volonté des visiteurs !

Parce qu’avec tout :

- Les Bretons

- Les métèques

- Les représentants de toutes sortes

- Les réalisateurs de radio de nuit

- Les quêteurs

- Les flics maritimes

- Les vendeurs au porte-à-porte

- Les emmerdeurs

- Les religieux

- Les conseillers d’orientation

T’as intérêt à te méfier !

A la grille, il tombe sur deux jeunes, j’veux dire, dans les 25 ans. Au tout début, il croit qu’il s’agit de touristes égarés parce qu’y avait aussi une fille qu’était restée dans la voiture. Ouais ! Y avait une voiture ! Rouge ! J’veux dire une voiture rouge qu’était garée devant chez lui !

Y a pas deux ans, même cinéma ! Deux types encore, dans ces âges-là. Y s’étaient paumés. Y cherchaient la ferme aux Gandon, qu’est devenue depuis quelques années une communauté, enfin… Ils appellent ça comme ça… Une communauté !

Ah ! Faut voir la faune ! Des gars mon vieux ! Des tignasses, des vrais nids à poux ! J’serais une fille, j’me mettrais pas en ménage avec ça ! Tiens, même pour simplement aller danser au bal, aux gars j’leur dirais d’abord d’aller s’laver, se décrasser et se peigner !

Et pourtant, y en a des filles à la ferme aux Gandon ! Même des jolies ! Et des pas frileuses qui se baladent les seins au vent.

Ah ! Ben le père Desmaz les a vues ! Il l’a raconté, avec force détail au petit bar de l’Escale ! Deux sacrées paroissiennes qu’il a dit dans son jargon !

Donc, il a pensé d’abord à des touristes égarés. Mais, ceux-là étaient bien mis comme on dit en Tarn-et-Saône. J’veux dire cravate, les cheveux courts, et c’est pour ça que ça lui a paru tout de suite suspect !

Y z-avaient des tronches à vous vendre n’importe-quoi, surtout ce dont on n’a nul besoin, et hors de prix, comme de juste !

Il allait leur dire de passer leur chemin quand ils l’ont salué !

- « Ah ! M’sieur Boulard ! Ah ! M’sieur Raoul Boulard ! »

Manière de plaisanter et aussi de leur rabattre leur caquet, il leur a répondu :

- « Ah ! Non ! Moi j’suis pas m’sieur Boulard, j’suis sa femme ! »

Les deux autres n’ont pas gouté le sel de la réplique, pour vous dire toute la vérité, et bien qu’ils aient marqué un temps qui a effacé leur sourire commercial, ils ont fait comme s’ils avaient rien entendu, et ils ont enchainé avec leur baratin !

- « Ah ! M’sieur Raoul Boulard ! Bonjour et félicitations ! M’sieur Raoul Boulard ! J’me présente, Jean-Marc Viguier, voici mon confrère Pascal Montsigny, m’sieur Boulard. »

Ce dernier a levé la main, qui, ici comme chez les Sioux signale qu’on met un terme au débat et qu’on veut prendre la parole, et il a dit :

- « Mon gars, tu peux rembarquer toutes tes saloperies, j’ai besoin de rien, sinon que tu me foutes la paix ! »

Impossible, cette fois de tenter de vous décrire la mine des autres ! Ils étaient… Ils étaient… Ils n’ont pu que lâcher un ultime cri, presque de détresse :

- « Mais, m’sieur Boulard ! Nous sommes de la télévision ! »

La télévision… Bon, c’est pas pour ce qu’il la regarde la tv ! Il est pas animé par cette espèce de fascination passive, le cerveau disponible à gober quoi que ce soit, mais bon, Raoul Boulard, il n’a pas tant que ça de visites pour refuser d’ouvrir sa porte pour une petite conversation ! Il dit bien petite conversation ! Parce qu’après dix minutes, ça le saoule de discuter ! Ca le gave, il en peut plus ! Il en a viré il ne sait combien de fois de gens ! Et surtout la Lucienne Voignard !

La voisine, qui durant un tant estimait qu’elle pouvait passer tous les jours lui raconter sa vie et celle des autres ! Il t’a mis ça dehors ! Depuis, c’est bonjour- bonsoir, du bon voisinage, et c’est aussi bien comme ça ! Des heures à cancaner toute seule la Lulu Voignard ! Un vrai moulin à paroles !

Bon ! Là, c’était des gars de la tv, et puis qui le félicitent en plus ! Ben tiens ! Il était temps ! Raoul Boulard, 67 ans, il a toujours été un brave garçon ! Il a fait son service militaire ! Il a toujours payé ses impôts ! Il était ben temps, en effet, de le remercier ! Et peut-être qu’il espère même une médaille !

Il les a fait rentrer, et il les a installés dans la cuisine, les trois jeunes, dont la nénette qu’avait rejoint les garçons, la nénette qui disait pas grand-chose !

A dire-vrai, elle avait du enterrer un parent récemment, vu sa gueule, ou elle devait souffrir cruellement d’hémorroïdes, parce qu’elle tirait une de ces tronches ! Ah ! Mais y a des gens comme ça ! Ah ! Si ! Quand-même, elle a passé son temps à caresser, à faire des mamours à la chienne.

Bon… Les deux autres zigotos, les mecs, alors eux, des gueules de raie ! Le sourire comme une banane et le verbe facile ! Du m’sieur Boulard par ici, du Raoul Boulard par-là, grands comme le bras ! Dès qu’il se sont assis dans la cuisine, il a senti qu’avec eux, il tendrait pas dix minutes ! Pas plus de cinq minutes ! Il a fouillé sous l’évier, le placard où y a les produits de ménage, de nettoyage, et les bouteilles ! Les bouteilles qui sont pas faites pour désaltérer ! Et il leur a payé le coup comme ça ! Comme ça se fait à la campagne ! A la bonne franquette et en toute amitié, manière d’accueillir comme il faut le visiteur !

Avec ces babouins-là, il a été tenté de leur sortir, de leur servir le débouche-cabinets, mais, c’était quand même les gens de la télé, et aux gens de la télé, peut-être que ça se fait pas de leur offrir le débouche-cabinets !

Y a une bouteille là ! Qui traine là depuis plus de dix ans ! Son beau-père à Raoul lui disait :

- « Touches pas à ça, ça bouffe les chaussettes ! »

Le père Rivaland est d’ailleurs parti d’ça !

Il leur a servi le truc qui bouffe les chaussettes ! Ils ont apprécié avec des claquements de langue et des commentaires de connaisseurs. Tu parles ! Lui, il se marrait intérieurement ! Cette bouteille-là du père Rivaland, elle était reconnue dans tout le canton en cas de constipation ! Même les cas les plus aigus n’y résistaient pas ! Y avait même le pharmacien qui le conseillait ! Y disait :

- « La bouteille du père Rivaland, quand on connaît la mesure : Cul-sec ! Cul-sec ! Cul-sec ! »

Bon, voilà l’affaire, les deux gars lui rendaient visite pour le féliciter ! De quoi bon sang ? Enfin, c’était les deux mecs qui le félicitaient parce que la nana disait toujours rien, elle pelotait toujours la chienne, elle avait même pas voulu trinquer la fille ! C’est tout dire !

Les deux gars venaient pour le féliciter, parce qu’il avait gagné ! Ah ! Bon ? Ah ! Ben ! Ca arrive de gagner ! Tout arrive ! La patience est toujours payante ! Enfin, il avait rien demandé Raoul ! D’ailleurs, c’est toujours comme-ça vous aurez remarqué ! On gratte, on choisit des numéros, on parie sur des bourrins en priant la sainte trinité du turf ! Et peau d’balle ! Comme disait mémé Ursule qu’était une bonne nature !

On demande rien, et puis un jour, on retrouve la boite aux lettres truffée de :

- « M’sieur Raoul Boulard, résidant au 7, rue Ravachol à Issougny-les-Crémones, nous sommes heureux de vous annoncer, monsieur Raoul Boulard, résidant au 7, rue Ravachol à Issougny-les-Crémones, que vous êtes, monsieur Boulard, parmi les quatre heureux élus de votre département pour le tirage au sort de la fameuse cagnotte pour 1million d’euros ! A condition, monsieur Raoul Boulard, résidant au 7, rue Ravachol à Issougny-les-Crémones, que vous soyez client de nos établissements Paralux, les plus beaux auvents de caravane ! »

La tv, lui, il la regarde jamais ou presque. Y z-étaient de quelle chaine ceux-là d’abord ? Ah ? Celle-là ? Bon, d’accord !

Enfin, il a tenu à leur préciser Raoul que s’il y avait une embrouille, il avait qu’un mot à dire pour que les chiens montrent les crocs ! Ah ! Oui ! Même à la mousmé qui continuait de peloter la chienne !

Alors, ils ont sorti les deux mecs, des papiers, des paperasses, lui ont assuré que s’il acceptait de monter à Paris pour participer à l’émission, ils assureraient le transport, tous les frais que ça occasionnerait, le logement aussi, et pas n’importe où ! Dans un hôtel au nom de voiture de sport ! Ah ! Ben Raoul, il en a claqué ses bretelles d’aise et puis il a remis sa tournée malgré les protestations des deux autres qui commençaient à verdir !

Des affaires comme celle-là, on en voit pas beaucoup à la campagne ! Tout frais payés, rien à perdre ! Un voyage jusqu’à Massy-Palaiseau !

Tiens, à propos, qu’est ce qu’il y avait à gagner ?

Les deux autres tentaient de reprendre du poil de la bête malgré les vagues qui remontaient du tréfonds et qui commençaient à leur donner une vision kaléidoscopique de tout ce qu’il les entourait !

- « Ah ? Ben, ce que vous avez gagné monsieur Bou…lard, Burp ! Raoul ? »

Ah ! Ca, du Raoul Boulard, grand comme le bras, mais de plus en plus en bégayant !

- « Mais, votre vie va changer m’sieur, hips ! M’sieur Boulard ! Mais tout ! Tout ! M’sieur Boulard ! Raoul Boulard ! »

Oui, tout, mais rien ! C’était pas clair ! Bon ! Tout frais payés, et c’est la petite nénette qu’acceptait de l’accompagner, oh ! Elle a pas promis, elle a rien dit ! C’est un des deux autres qui l’a dit pour elle. Elle a juste fait un signe de tête. Y-s-ont promis aussi qu’y aurait pas besoin de faire le clown, qu’y avaient pas de questions à répondre, rien ! Suffisait d’être présent !

Bon ! Et ben ! Allez ! D’accord ! Comme à la campagne mon gars ! Tape dans ma main ! Tape-là ! Et on remet une tournée !

Le lendemain, la petite est passée le prendre. Elle l’a aidé à choisir la cravate. Pour le costume, c’était simple, il n’en avait qu’un. Ils ont voyagés ainsi jusqu’à Massy-Palaiseau, toujours pas bien causante la pintade !

Enfin, il a quand-même compris qu’y avait un des deux gars à l’hôpital ! Et l’autre qu’on avait pas retrouvé, qui s’était égaré dans la campagne ! A un moment on lui avait couru après, mais il avait vite distancé tout le monde et devait courir encore !

En arrivant vers la banlieue, il l’a interrogée la fille, sa conductrice, sur la raison, le pourquoi du comment qu’on l’avait choisi lui, Raoul Boulard, demeurant au 7 de la rue Ravachol à Issougny-les-Crémones.

Elle a dit :

- « Chais-pas ! »

Jusqu’à l’arrivée, il s’est demandé de quelle région elle était pour parler ainsi. Puis après, ça a été le grand tourbillon. La tour Eiffel qui clignotait de loin, du monde, du monde, du monde, des lumières, du bruit.

Avant l’émission de télé, ils ont essayé de le maquiller ! De maquiller un homme de 67 ans ! Il a dit :

- « Ah ! Non ! On m’avait promis que ce serait pas pour faire le clown ! Que je serais pas obligé ! »

Puis après, y a eu des applaudissements et un crétin qui a fait comme s’il le connaissait depuis toujours. Poignée de main, sourire moelleux, doigts gluants, …

Il a regretté de pas avoir la bouteille du père Rivaland à lui servir à celui-là ! Cui-là qui l’interrogeait sur sa vie, sur son passé ! Pas gêné ! Il lui a dit :

- « Mais en quoi que ça vous regarde ? »

Ca a fait marrer les spectateurs. Y avait des spectateurs qui se sont mis à rire. Pas gênés.

Puis après, on lui a présenté une ancienne, Fernande ! Y avait 45 ans de cela. L’ancienne lui souriait la Fernande, pas gênée Fernande.

Ah ! Non ! C’était pas la Fernande qu’il avait connue, toute fine, avec des cheveux frisés jusque-là, un ruban rouge et des pompons ! Ah ! Non ! Non ! C’était pas celle-là !

Alors, il a tourné le dos, et puis il est parti. Bien sûr, on a essayé de la retenir, c’était pour la télé !

Il a eu un autre regret à ce moment-là, de ne pas avoir les chiens ! Il a montré le poing et puis il est parti.

Le plus fort, c’est qu’il a été obligé de payer le train pour revenir !

Mais, il avait gagné quoi au fait ? Et rien ! T’en fais pas ! Il sait qu’y en a un à l’hôpital et s’il remet la main sur celui qui courre toujours dans la nature, y va se régaler !