Porter une vie

Porter un prénom, porter un prénom… avant de porter un nom !

Porter des couches et des petits chaussons bleus tricotés impatiemment par marraine ! Monique Viguier ! La bien prénommée !

Porter un regard trouble alentour mais, petit à petit, commencer à reconnaître les siens !

Porter son pouce, et puis la totosse, et puis la cuillère à sa bouche sont des étapes importantes ! L’alimentation autonome ! Des escales dans la vie, les premières, les nouvelles, toujours plus capitales !

Porter des shorts !

Et porter bientôt les commissions !

- « Et oh ! Oh! Oh! Oh! Oh ! Tu fais gaffes en traversant la route! Et fais bien attention de rapporter les journals ! Et la monnaie ! Et puis tu manges pas tout le râpé en revenant ! »

Porter sa croix ! Et oui ! Ca s’appelle l’intelligence dès le plus jeune âge ! Pressentir que la vie, c’est une drôle de tartine ! Qu’y faut se la taper tous les matins ! Et qu’elle tombe pas forcement du bon coté !

Porter peu d’intérêt à bien des choses obligatoires.

Porter un regard pur sur l’inédit et en être parfois interdit au sens global du terme.

Porter en soi un goût incompréhensible pour la nature. Un goût irrépressible pour la liberté. Et puis rester des heures durant scellé à une table de bois à griffonner des hiéroglyphes devant le tableau noir. Sentir les parfums du cartable neuf, du cartable vieux. Respirer les odeurs d’aisselles et de pieds des autres.

Porter le maillot de l’USC. L’union Sportive du Chatelet-sur-Souilly. C’est un maillot vert pistache, avec une croix de Saint André barrant le torse, couleur orange-minium. Ca va bien l’orange sur le vert pistache ! Faire claquer, claqueter les crampons des chaussures de foot sur le carrelage de la cuisine. Poussin, minime, cadet, et puis, porter son regard ailleurs.

Porter les cheveux longs avec les pattes.

Porter attention à tout ce qui ne porte pas de pantalon.

Porter un petit pot de beurre et une galette à mère-grand en espérant bien rencontrer le loup !

Porter sur le système de ses parents. Une expression typiquement paternelle. Le paternel, il dit aussi :

- « Ho ! J’ai des yeux derrière la tête ! »

Il dit aussi :

- « Si tu veux jouer au con, tu vas pas gagner ! »

Il dit encore :

- « T’as du encore faire des conneries ! »

Porter des signes extérieurs d’idolâtrie rock’n rollesque.

Porter beaucoup de mépris envers le quotidien.

Le paternel, il dit encore :

- « T’as vu ton fils ? Et ça fait combien de temps qu’il s’est pas lavé ? Et sa chambre ? T’as vu l’état de sa chambre ? Quoi ? Quoi ? Quoi ? Nous aussi on a été jeunes ? »

Porter un slip de bain parce qu’à la piscine ils refusent les caleçons et les bermudas.

Porter un appareil dentaire. Celui qui doit faire les dents plus belles ! Et oui ! Mais il faut supporter quelques mois en se faisant moquer par les crétins qui n’en n’ont pas !

Se porter bien, et commencer à être porté sur la chose !

- « Heu ! Tu sais ce que j’ai trouvé sous le lit de ton fils ? Des magazines ! Des magazines éro… non ! Non ! Pas des magazines éro…, des magazines Por… Non ! Des magazines gynécologiques ! Oui ! C’est plutôt de cet ordre là ! Gynécologiques ! J’ai vu des choses, mais que j’avais jamais imaginé ! Mais… euh ! Regardes moi ça ! Y a même des pédés femmes ! Oui madame ! Ton fils se fréquente en regardant ça ! »

Se laisser porter par les vents tranquilles de l’insouciance adolescente !

Porter en triomphe Albert Gandon! Ah! Ah! Ah! Sacré Bébert! Qui marque toujours du menton! Et là, il a marqué un super but dans la cour de récréation juste avant la cantine ! Un héros !

Porter sur le haricot du prof d’histoire-géo. Le sinistre Rebut ! Prof d’histoire-géo qui dit toujours :

- « Bande d’ânes bâtés ! Vous êtes que des nuls, de pitres, des bouffons ! Interrogation surprise ! Monsieur Boulard, portez-donc ce mot au principal ! Vous le ferez également signer par vos parents, s’ils savent écrire ! Deux heures de retenue, de colle, et je vous porte un zéro sur votre bulletin ! »

Porter sa croix, encore et toujours ! Comme d’hab !

Porter le poids de ses fautes, de ses pêchés.

Porter témoignage que c’est bien ce gros nul de Michalon qui a dit à Maurice Viguier, qui l’a répété à Lucien Montsigny que Stéphane, Steph Voignard voulait sortir avec la Mireille ! La Mireille Poilbout ! La fille de la pharmacienne ! Pardon… La fille à la pharmacienne !

Porter haut les couleurs du collège en devenant vice-champion départemental de volley-ball.

Porter aux nues les Cure, U2, Bronsky Beat, Depeche Mode, le reste, c’est que de la merde !

Porter en soi un amour secret pour Isabelle. Isabelle Pilorget, la fille du chef de gare, enfin… Il paraît que c’est sa fille !

Porter une timidité handicapante. Bon-sang, c’est pourtant pas compliqué de sourire, pas de manières !

- « Bonjour ! Bonjour ! Bonjour Isabelle ! »

J’recommence :

- « Bonjour ! Bonjour Isabelle ! J’ai envie de parler avec toi ! J’ai envie de faire ta connaissance » Non ! Trop timide !

- « Bonjour Isabelle ! »

Trouver un sujet de conversation qui soit digne d’intérêt pour les deux parties. Pas tenter de frimer, de feinter, et pas la ramener ! Sympathiser quoi ! Après, on verra !

Porter une certaine rancœur tient justement dans son cœur à Albert Viguier ! Bébert ! C’est pourtant pas le roi des dégourdis ! Qui lui sort maintenant avec Isabelle ! Il est pas peu fier l’enflé ! Il parle plus que de ça ! Lui qui va à la salle de muscu deux fois par semaine ! Pour ce que ça nous intéresse ! Même les couleurs des tétons d’Isabelle, il les a racontées! Les couleurs des tétons d’Isabelle dans la cour de récré !

Ah ! Y me porte vraiment sur les nerfs ce mec-là ! Bon ! Allez ! Porter la moustache, pour faire homme, une espèce de filament duveteux, anarchique.

Porter un cv aux abattoirs d’Issougny-les-Crémones pour avoir un job d’été.

Porter des bagages.

- « Ben ! Où qu’il est ton fils ? Encore à trainer ? Il était là y a pas 5 minutes, j’y ai dit : Allez, tu décharges la bagnole, après tu me donneras un coup de main pour monter la tente ! Et maintenant, il est plus là ! »

Porter l’uniforme de l’armée française durant un an. Se porter mal, enfin… Pas trop mal quand même !

Pas mort d’homme quoi ! Juste l’ennui ! Se porter mal et se comporter pire. Apprendre à bien frimer, bien boire, bien… Bien… Bien… Bien… Jamais on savait quand on allait toucher la solde.

- « Mon adjudant-chef, c’est quand qu’on touche notre paie ? »

Et l’autre, il répondait :

- « Tu vois p’tit gars, quand tu verras des filles, pas frileuses, attendre devant la caserne, dis-toi que se sera le jour où tu auras ta solde ! »

Les filles, elles, à l’extérieur, elles le savaient ! Nous, jamais !

Porter une arme, chargée à blanc.

Porter le béret.

Porter un toast à la quille : « Zéro, zéro, zéro, zéro, zéro, zéro, zéro ! »

Porter un costume et répondre à plusieurs proposition de l’agence d’intérim et de l’ANPE.

Porter des lunettes à l’atelier, on rigole pas avec la sécurité. On ne rigole jamais avec la sécurité ! Surtout quand on est au tour, ou à la fraiseuse !

Porter son regard au-delà de la porte d’entrée de l’atelier.

Porter intérêt à de nouvelles activités : Loto, tiercé, loto sportif, l’apéro, la télé, la discothèque « Le roule-roule » à la sortie D’Issougny-les-Crémones le samedi soir, à main-gauche, bien sûr !

Porter à gauche… et penser à droite.

Finir par porter une alliance ! Et oui, tout arrive !

Tiens ! Porter plainte contre son employeur qui ne respecte pas les dispositions de sécurité définies par la cour européenne !

Porter la barbe par lassitude, par désœuvrement.

Porter un costume pour faire la tournée des clients. La présentation, ça compte, c’est même essentiel quand on est VRP, surtout pour de l’eau minérale, en Tarn-et-Saône !

Porter beaucoup d’affection à sa femme qui porte votre premier enfant.

Porter la culotte à la maison !

- « Ah ! Mais oui ! Non, mais, on se crève sur les routes toute la semaine, on rapporte sa paie, et une bonne paie ! Tu connais la moyenne de ce que gagnent ou ne gagnent pas les Français depuis quelques temps? Salaires bloqués, Salaires bloqués, et la baisse des impôts ! Heureusement ! Ah Oui ! C’est vrai que ça a beaucoup baissé ! On l’a bien senti que ça a baissé les impôts ! Ah… J’te jure ! Non… Rien ! »

- « Des fois, on se dit que ça va faire mal aux prochaines élections… Et puis… Non ! A croire que tout le monde est content ! Et me fais pas le coup de m’interdire de venir avec toi dans l’isoloir ! Quoi ? C’est secret ? Y a pas de secrets entre un mari et une femme ! »

Porter sa gueule et le reste ailleurs sur les routes, en tournée dans les hôtels de base. S’ennuyer à diner seul, et encore plus avec des confrères.

Porter chance à Bébert :

- « Allez ! On se prend deux grilles de Loto sportif ! »

On était à bloc, on était en apnée, chargés à trois grammes. Y me dit :

- « Allez ! Tu remplis la mienne, j’remplis la tienne ! »

Je sais pas ! Ca nous est passé comme ça par la tête! Comme ça ! J’arrivais pas à choisir, pour moi, et lui non plus pour lui, et le v’là qui gagne avec mes chiffres ! Ouais ! Avec mon choix c’t’enflé ! Y gagne 540 000 euros. 540 000 euros avec mes chiffres ! La grille que j’ai remplie ! Ca vous dit quelque-chose 540 000 euros et des poussières ?

Et vous croyez qu’y me donne combien là-dessus ? Même pas des clopinettes ! Même pas des clopinettes ! A peine un sourire ! Y a des gens comme-ça ! Pas gênés ! Ah ! Cui-là, je le porte dans mon cœur !

Porter beau encore, malgré… ben oui ! Quoi ? Malgré quoi ?

Porter son regard alentour ! Il est pas pourri l’ancien ! Il peut en montrer à bien des jeunes !

Porter son âge avant de porter le poids des ans. Se porter bien, encore.

Porter des T-shirts longs l’été.

Porter cette espèce de connerie de bermuda de truc ridicule qui arrive à mi-mollet ! Très joli, pour aller à la pêche à la crevette, ou aux fraises ! Non ! Tout ça pour dire qu’y a un moment dans la vie où on se soucie plus de l’apparence. De son apparence.

Porter un toast, comme disait un certain président, à nos femmes, aux chevaux, aux escaliers, et à ceux qui les montent !

Se faire rembarrer par sa bourgeoise. C’est pas qu’elle soit mécontente du fait qu’on soit un peu gris, pompette, mais c’est normal, c’est humain ! Elle supporte pas la vulgarité ! Qu’on porte un toast, comme ça !

Se porter caution pour que la petite prenne un studio à Paris afin de poursuivre ses études.

Et porter ses parents en terre.

Porter un appareil auditif, oui, pour mieux écouter le fracas du monde ! Quoi ? Quoi ? Quoi ? Quand une dent tombe, on la remplace ! Alors ?

Se porter moins bien, se supporter encore moins quand on passe devant un miroir.

Porter le chapeau, et ne plus oser l’ouvrir à table en famille.

Porter le deuil.

Porter des commissions aux vieux alentour, enfin… à des plus vieux…

Porter le poids des ans.

Porter des lunettes qui ne sont pas de soleil.

Porter dans ses bras un enfant, pas n’importe lequel évidemment ! Même si tous les enfants… Non ! Là, porter sa petite-fille, en avoir le vertige.

Porter aux nues un nouveau prénom et ne plus jamais se dire : « Qu’importe ! »