La grange du père Gandon
Retranscription du 1er Avril
2010 de Serge Le Vaillant
Autrefois, et c’est pas si loin, la
grange servait à remiser quelques outils et surtout à stocker la paille et le
foin. Mais, depuis quelques années, le bétail, y n’aime plus le foin ! Le
bétail, y préfère les granulés et les protéines en poudres déshydratées et
la fiente de canard. Quant à la paille, elle est devenue tout aussi inutile
depuis une inspection sanitaire. Un jour, des gars et… Surtout une dame,
avaient déboulé de la préfecture et… Y z-étaient pas contents ! Mais
alors… Pas contents du tout de voir le bétail poser ses bouses allégrement
dans la paille avant de se coucher parfois dedans ! C’est vrai que ça
faisait pas propre la litière ! C’était pas plus hygiénique !
Ah ! Mais il a pris une très grosse amende pour ça ! Dis-donc !
On rigole plus avec la santé ! Depuis, il a refait la stabulation. Tout en
carrelage fuchsia ! Quand il met la lumière, t’as peur de rentrer et
de salir ! Tout juste si tu ne réclames pas les patins pour aller au cul des
vaches ! Ah ! C’est beau ! Ca éclabousse de lumière ! Et
puis alors musique classique en fond sonore et un peu de jazz le matin
pour la première traite. Toute une histoire ! Avec des pinces stérilisées
pour choper les trayons ! Là encore, une autre affaire ! Donc, la
grange était devenue comme qui dirait obsolète, comme on l’entend parfois dans
certains bistrots ruraux.
Alors le fils, j’veux dire le fils cadet,
Fernand, qu’est bien dégourdi, il a récupéré le lieu et même l’endroit dès son
plus jeune âge pour y faire des conneries ! Disait le père, comme de bien
entendu ! Parce que les pères, ils les connaissent bien les gamins !
Et tant que ça n’a pas fait le service militaire pour leur remettre les idées
en place, ça vaut guère les gamins ! Y a rien à en attendre, ni même
espérer ! Rien de correct ! Toujours à essayer de faire les malins en
imitant les vedettes de la tv, sans parler de la boisson et du tabac, là pour
imiter les vedettes locales ! Rien de bon j’vous dis ! Et puis alors
sale ! Ah ! Alors ça, l’adolescent aime le sucre mais il est
sale ! Y sait pas s’tenir ! J’vois l’mien. Ah ! Le mien, sa
philosophie, c’est que quand le linge est propre, c’est parce qu’il est
sec ! J’peux pas dire mieux !
On s’attendait donc à un joli foutoir
dans la grange au père Gandon ! Parce que tout ça se passe chez les
Gandon, ceux de Boursault-neuf-Moutiers ! Le père Gandon qui avait pas
inventé la machine à accorder les castagnettes, mais qu’était pas né de la
dernière pluie ! Surtout, il était bien connu sur la communauté de
communes en arrondissements à cause de sa stabulation en faïence fuchsia !
Oh ! La stabulation ! T’aurais
mangé par terre, entre les pattes des vaches laitières tellement c’était
nickel-propre ! Au début, il avait quel âge Fernand ? Douze ?
Treize ans ? Et ben c’est bien l’âge des conneries ! C’est-y-pas
vrai ? Surtout qu’il était déjà bricoleur ! Le père Fradey, à qui on
n’avait rien demandé… Le père Fradey, quand il était en forme, c'est-à-dire
bien souvent après avoir gagné au 421, promettait qu’y aurait bientôt et
sûrement avant longtemps le feu dans la grange ! Et ben… Pas du
tout ! Pas du tout ! Comme quoi, je suis pas la seule mauvaise langue
du canton !
A douze-treize ans, le Fernand, il a
monté un club de ping-pong ! Deux tables, pour organiser des tournois, sur
des tréteaux, des planches de contreplaqué ou d’aggloméré… enfin… Du bois de
récupération ! En guise de raquette, ben… Tout ce qui pouvait tomber sous
la main ! Parce que c’est pas aisé de découper des disques à la scie à bois
dans de l’agglo ! Même pour des préados bricoleurs ! Quand ils y
parvenaient et quand ils avaient des balles, encore un autre cinéma, jusqu’à de
que cet empapaouté pas-même mondain Lucien Drouin, qui faisait mouchard dans
les bistrots et marchand de couleurs, qu’il en commande des balles ! Mais
mon vieux, heureux comme pas deux ! Douze-treize ans, c’est aussi l’âge
des vies de bonheurs ! Y te collaient des bouts de lino sur leurs
bastringues et vas-y de bon cœur ! Tac ! Tac ! Tac !
Tac ! Des journées entières !
Et c’est ainsi que ces gamins-là se sont
retrouvés en championnat sous-départemental et si vous me croyez pas, et ben…
C’est tout simple ! La coupe est derrière le comptoir à l’autre là !
Au petit bar de l’Escale en haut de la côte du Paradis ! J’peux pas
mieux dire ! Ca a bien duré deux saisons leur ping-pong dans la
grange ! Ah ! Ca, les anciens alentour étaient bien contents de les
voir occupés à c’t’heure à des bienfaits athlétiques ! Ouais !
Sauf les mères bien-sûr ! Ah ! Les mères ! Jamais contentes
comme rien que des femmes qu’elles sont ! Plus soucieuses de tenir
leur monde que d’applaudir au
sport ! Et pourtant, j’sais pas si vous avez remarqué ? C’est de plus
en plus du spectacle ! C’est-y-pas vrai ? Ah ! Ben ! J’en
connais moi qui ont découvert la musique en regardant à la tv, surtout la
première chaine en couleurs, en regardant les bandes-annonces pour les
matchs ! Ils mettent de la musique d’opéra mais… Là encore, ça
éclabousse ! Tiens ! Y a encore cet halluciné par inadvertance de Mathieu
Poilbout ! Pourtant un gars qu’a entrainé durant un temps les cadettes au
saut en longueur pendant des années ! Bref… Serviable et bénévole comme un
seul homme ! Ben lui, m’sieurs-dames, y regarde pendant des heures ses
équipes préférées se prendre des défaites, des tôles, des vestes comac, et ben,
encore une fois, il est heureux par accointance et y nous explique
fièrement :
« Oui, y z-ont perdus, mais y avait
du spectacle ! »
Devant la déroute de certaines équipes, Mathieu
Poilbout, il dit encore :
« Ah ! Oui ! Ils ont été
mauvais ! Très mauvais même ! Et pire que mauvais ! Mais… »
Car y a toujours un « Mais ! »
« Mais ! Y-z-ont mouillé le
maillot ! »
Quand il a dit ça, il a tout dit !
Et y se marre ! Et y postillonne parce qu’il lui manque une incisive du
haut ! D’autres également et surement, et on ne voit pas tout n’est-ce-pas ?
On va quand même pas lui inspecter les molaires ! Et ça ne nous regarde
pas ! C’était le même problème des gamins pour les mères ! Non pas
dentaire, mais sudoripare, dans le domaine des aisselles tout
particulièrement ! C’est ça un gamin à douze-treize ans ! Ca
pense qu’à faire des conneries, ça aime le sucre, mais ça tient pas en
place ! Ca joue, ça sue ! Ca sue et après ça pue ! Et les mères,
elles gueulent !
Le ping-pong, ça a tenu deux
saisons ! Quitte à me répéter mais… Puisque personne n’écoute ! Parce
que les drôles, dans ces âges-là, j’sais pas si vous avez remarqué, pourtant,
nul besoin d’avoir l’œil américain ! Mais, mon vieux ! L’épicier
arabe du coin, Maurice Lefranc, il le dit toujours à sa pratique féminine,
aux clientes accompagnées par leurs gosses :
« Mais ça y fait quel âge au
juste ? Oh ! Mon dieu que ça pousse ! J’l’aurais pas
reconnu ! »
Assujetti socialement à ces deux grandes
trouvailles philosophiques qui étonnent toujours, il ajoute :
« Tu travailles bien à
l’école ? »
Et le fameux et troublant :
« Qu’est ce que tu veux faire plus
tard mon bonhomme ? »
Fernand, ce qu’il voulait faire plus
tard, on ne le savait point et ça valait mieux sans-doute, sinon son père
l’aurait giflé car, à treize-quatorze ans, ça sue, ça tient pas en place, ça
pense qu’aux conneries, ça pense aussi à la chose ! Bien souvent ! Oh !
On l’observait de loin ! C’est pas le ping-pong qui pouvait nourrir son
homme ! Surtout à c’t’époque-là, où le grand champion se nommait
Secrétin !
C’est à ce moment-là que, comme beaucoup
d’autres, il a changé du tout au tout le Fernand ! De sportif volontaire,
il est passé presque du jour au lendemain, pour ça je peux pas me tromper, c’était
un vendredi ! La bourgeoise avait fait du merlan ! De sportif qui
mouillait le maillot, il est passé à artiste feignasse ! Avec trois autres,
dont un pourtant qu’était de l’harmonie municipale ! Le fils à Albert
Guilcher, Roland, qui jouait de la grosse caisse derrière les
majorettes ! Et bien évidemment, dans le groupe, il est devenu
guitariste ! Ils faisaient un boucan ! J’ai même l’impression que
c’était que du boucan ! Et tout ça se passait toujours dans la
grange ! Parce que personne, mais alors… Vraiment personne n’aurait aimé
avoir ça chez-soi !
Bien évidemment, maitre de la grange,
patron de séant, c’est le Fernand qui faisait le chanteur ! Le chanteur
qu’on soupçonne bien souvent le chef du groupe, le chef de bande et le
responsable de tout ! Alors que mon vieux, c’est bien connu ! Michel
Jaeger, chez les Rolling Stones, il a jamais eu son mot à dire ! Pareil
pour Brassens et Brel, qu’étaient les cinquièmes roues du carrosse ! Pour
Brassens, c’est son contrebassiste qu’écrivait tous les textes ! Et Brel,
c’est son batteur qui lui apprenait les gestes et les grimaces.
« Car il était
grimacier ! » Comme disait ma belle-mère !
Pas autant, pourtant, que le Fernand, que
j’avais aperçu à la kermesse votive de Sainte-Hypocrite, où son groupe faisait
la première partie du bal. Heureusement, seulement la première partie !
Parce qu’après, y avait Frédéric François et ça avait quand même une autre
tenue ! Ah ! Si Frédéric avait pas été là, j’serais pas resté !
Ah ! Ca, non ! Frédéric François et Ringo Willy Cat, J’ai jamais
manqué un seul de leurs concerts sur la communauté de communes ! J’suis
même allé voir le sosie de Ringo à la supérette, près de SuperInterHyper, où il
animait une opération promotionnelle sur les portes-fenêtres avec les frères
Bogdanoff ! Eux, c’était les vrais !
Ca n’a pas duré la musique. Ni dans
la grange ni ailleurs. Oh ! Ca pouvait pas ! Ils n’avaient rien pour
eux, et surtout pas de relations ! Un peu plus tard, dans la grange, il y
a eu la période mécanique mobylétière ! Les gamins avaient toujours les
ongles en deuil et y puaient l’huile de moteur ! Heu… A 17 ans, y
pensent toujours qu’à faire des conneries, et la propreté… Heureusement et par
bonheur, le service militaire est arrivé ! Mais j’le dis toujours !
Ah ! J’l’ai déjà dit ! Tiens ! Même cette nuit ! Ca les
remet d’équerre les gamins ! Enfin… Ca les remettait !
Puis, après encore, le Fernand est monté
à Paris, enfin… à Massy-Palaiseau, où il est devenu vendeur de bagnoles
d’occasion. Et puis, il est monté en grade. Il est devenu concessionnaire Simca
et Panhard ! Ce qui n’était pas rien ! Quand il est revenu au pays,
il était plein aux as ! Quand il a commencé à bricoler dans la grange, on
a espéré qu’il aiderait les jeunes du coin, qui sont bien désœuvrés, et puis y
avait ceux de Bazoges-sur-Surche, qui ont monté un club de ping-pong, et qu’ont
bien souvent du mal à payer les maillots ! Il aurait pu faire ça Fernand,
en souvenir du bon vieux temps ! Mais… Tu parles Charles ! Il a
investi dans la restauration de la grange, avec de la faïence fuchsia, mais…
C’est pas pour les jeunes ! Enfin… C’est pas pour les gamins ! Parce
qu’il a monté un club échangiste grâce au soutien de la femme du
sous-député-maire, qu’a le bras long, comme elle dit !
En tout cas, dans la grange, y a jamais
eu de bêtises de faites : On n’a pas le droit d’y fumer ! Tant pis
pour les mauvaises langues qui pensaient… Qu’y s’y feraient des bêtises !