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Dépèches du Tarn et Saone
9 août 2010

La grange du père Gandon

Retranscription du 1er Avril 2010 de Serge Le Vaillant

 

Autrefois, et c’est pas si loin, la grange servait à remiser quelques outils et surtout à stocker la paille et le foin. Mais, depuis quelques années, le bétail, y n’aime plus le foin ! Le bétail, y préfère les granulés et les protéines en poudres déshydratées et la fiente de canard. Quant à la paille, elle est devenue tout aussi inutile depuis une inspection sanitaire. Un jour, des gars et… Surtout une dame, avaient déboulé de la préfecture et… Y z-étaient pas contents ! Mais alors… Pas contents du tout de voir le bétail poser ses bouses allégrement dans la paille avant de se coucher parfois dedans ! C’est vrai que ça faisait pas propre la litière ! C’était pas plus hygiénique ! Ah ! Mais il a pris une très grosse amende pour ça ! Dis-donc ! On rigole plus avec la santé ! Depuis, il a refait la stabulation. Tout en carrelage fuchsia ! Quand il met la lumière, t’as peur de rentrer et de salir ! Tout juste si tu ne réclames pas les patins pour aller au cul des vaches ! Ah ! C’est beau ! Ca éclabousse de lumière ! Et puis alors musique classique en fond sonore et un peu de jazz le matin pour la première traite. Toute une histoire ! Avec des pinces stérilisées pour choper les trayons ! Là encore, une autre affaire ! Donc, la grange était devenue comme qui dirait obsolète, comme on l’entend parfois dans certains bistrots ruraux.

 

Alors le fils, j’veux dire le fils cadet, Fernand, qu’est bien dégourdi, il a récupéré le lieu et même l’endroit dès son plus jeune âge pour y faire des conneries ! Disait le père, comme de bien entendu ! Parce que les pères, ils les connaissent bien les gamins ! Et tant que ça n’a pas fait le service militaire pour leur remettre les idées en place, ça vaut guère les gamins ! Y a rien à en attendre, ni même espérer ! Rien de correct ! Toujours à essayer de faire les malins en imitant les vedettes de la tv, sans parler de la boisson et du tabac, là pour imiter les vedettes locales ! Rien de bon j’vous dis ! Et puis alors sale ! Ah ! Alors ça, l’adolescent aime le sucre mais il est sale ! Y sait pas s’tenir ! J’vois l’mien. Ah ! Le mien, sa philosophie, c’est que quand le linge est propre, c’est parce qu’il est sec ! J’peux pas dire mieux !

 

On s’attendait donc à un joli foutoir dans la grange au père Gandon ! Parce que tout ça se passe chez les Gandon, ceux de Boursault-neuf-Moutiers ! Le père Gandon qui avait pas inventé la machine à accorder les castagnettes, mais qu’était pas né de la dernière pluie ! Surtout, il était bien connu sur la communauté de communes en arrondissements à cause de sa stabulation en faïence fuchsia ! Oh ! La stabulation !  T’aurais mangé par terre, entre les pattes des vaches laitières tellement c’était nickel-propre ! Au début, il avait quel âge Fernand ? Douze ? Treize ans ? Et ben c’est bien l’âge des conneries ! C’est-y-pas vrai ? Surtout qu’il était déjà bricoleur ! Le père Fradey, à qui on n’avait rien demandé… Le père Fradey, quand il était en forme, c'est-à-dire bien souvent après avoir gagné au 421, promettait qu’y aurait bientôt et sûrement avant longtemps le feu dans la grange ! Et ben… Pas du tout ! Pas du tout ! Comme quoi, je suis pas la seule mauvaise langue du canton !

 

A douze-treize ans, le Fernand, il a monté un club de ping-pong ! Deux tables, pour organiser des tournois, sur des tréteaux, des planches de contreplaqué ou d’aggloméré… enfin… Du bois de récupération ! En guise de raquette, ben… Tout ce qui pouvait tomber sous la main ! Parce que c’est pas aisé de découper des disques à la scie à bois dans de l’agglo ! Même pour des préados bricoleurs ! Quand ils y parvenaient et quand ils avaient des balles, encore un autre cinéma, jusqu’à de que cet empapaouté pas-même mondain Lucien Drouin, qui faisait mouchard dans les bistrots et marchand de couleurs, qu’il en commande des balles ! Mais mon vieux, heureux comme pas deux ! Douze-treize ans, c’est aussi l’âge des vies de bonheurs ! Y te collaient des bouts de lino sur leurs bastringues et vas-y de bon cœur ! Tac ! Tac ! Tac ! Tac ! Des journées entières !

 

Et c’est ainsi que ces gamins-là se sont retrouvés en championnat sous-départemental et si vous me croyez pas, et ben… C’est tout simple ! La coupe est derrière le comptoir à l’autre là ! Au petit bar de l’Escale en haut de la côte du Paradis ! J’peux pas mieux dire ! Ca a bien duré deux saisons leur ping-pong dans la grange ! Ah ! Ca, les anciens alentour étaient bien contents de les voir occupés à c’t’heure à des bienfaits athlétiques ! Ouais ! Sauf les mères bien-sûr ! Ah ! Les mères ! Jamais contentes comme rien que des femmes qu’elles sont ! Plus soucieuses de tenir leur monde que d’applaudir au sport ! Et pourtant, j’sais pas si vous avez remarqué ? C’est de plus en plus du spectacle ! C’est-y-pas vrai ? Ah ! Ben ! J’en connais moi qui ont découvert la musique en regardant à la tv, surtout la première chaine en couleurs, en regardant les bandes-annonces pour les matchs ! Ils mettent de la musique d’opéra mais… Là encore, ça éclabousse ! Tiens ! Y a encore cet halluciné par inadvertance de Mathieu Poilbout ! Pourtant un gars qu’a entrainé durant un temps les cadettes au saut en longueur pendant des années ! Bref… Serviable et bénévole comme un seul homme ! Ben lui, m’sieurs-dames, y regarde pendant des heures ses équipes préférées se prendre des défaites, des tôles, des vestes comac, et ben, encore une fois, il est heureux par accointance et y nous explique fièrement :

 

« Oui, y z-ont perdus, mais y avait du spectacle ! »

 

Devant la déroute de certaines équipes, Mathieu Poilbout, il dit encore :

 

« Ah ! Oui ! Ils ont été mauvais ! Très mauvais même ! Et pire que mauvais ! Mais… » Car y a toujours un « Mais ! »

 

« Mais ! Y-z-ont mouillé le maillot ! »

 

Quand il a dit ça, il a tout dit ! Et y se marre ! Et y postillonne parce qu’il lui manque une incisive du haut ! D’autres également et surement, et on ne voit pas tout n’est-ce-pas ? On va quand même pas lui inspecter les molaires ! Et ça ne nous regarde pas ! C’était le même problème des gamins pour les mères ! Non pas dentaire, mais sudoripare, dans le domaine des aisselles tout particulièrement ! C’est ça un gamin à douze-treize ans ! Ca pense qu’à faire des conneries, ça aime le sucre, mais ça tient pas en place ! Ca joue, ça sue ! Ca sue et après ça pue ! Et les mères, elles gueulent !

 

Le ping-pong, ça a tenu deux saisons ! Quitte à me répéter mais… Puisque personne n’écoute ! Parce que les drôles, dans ces âges-là, j’sais pas si vous avez remarqué, pourtant, nul besoin d’avoir l’œil américain ! Mais, mon vieux ! L’épicier arabe du coin, Maurice Lefranc, il le dit toujours à sa pratique féminine, aux clientes accompagnées par leurs gosses :

 

« Mais ça y fait quel âge au juste ? Oh ! Mon dieu que ça pousse ! J’l’aurais pas reconnu ! »

 

Assujetti socialement à ces deux grandes trouvailles philosophiques qui étonnent toujours, il ajoute :

 

« Tu travailles bien à l’école ? »

 

Et le fameux et troublant :

 

« Qu’est ce que tu veux faire plus tard mon bonhomme ? »

Fernand, ce qu’il voulait faire plus tard, on ne le savait point et ça valait mieux sans-doute, sinon son père l’aurait giflé car, à treize-quatorze ans, ça sue, ça tient pas en place, ça pense qu’aux conneries, ça pense aussi à la chose ! Bien souvent ! Oh ! On l’observait de loin ! C’est pas le ping-pong qui pouvait nourrir son homme ! Surtout à c’t’époque-là, où le grand champion se nommait Secrétin !

 

C’est à ce moment-là que, comme beaucoup d’autres, il a changé du tout au tout le Fernand ! De sportif volontaire, il est passé presque du jour au lendemain, pour ça je peux pas me tromper, c’était un vendredi ! La bourgeoise avait fait du merlan ! De sportif qui mouillait le maillot, il est passé à artiste feignasse ! Avec trois autres, dont un pourtant qu’était de l’harmonie municipale ! Le fils à Albert Guilcher, Roland, qui jouait de la grosse caisse derrière les majorettes ! Et bien évidemment, dans le groupe, il est devenu guitariste ! Ils faisaient un boucan ! J’ai même l’impression que c’était que du boucan ! Et tout ça se passait toujours dans la grange ! Parce que personne, mais alors… Vraiment personne n’aurait aimé avoir ça chez-soi !

 

Bien évidemment, maitre de la grange, patron de séant, c’est le Fernand qui faisait le chanteur ! Le chanteur qu’on soupçonne bien souvent le chef du groupe, le chef de bande et le responsable de tout ! Alors que mon vieux, c’est bien connu ! Michel Jaeger, chez les Rolling Stones, il a jamais eu son mot à dire ! Pareil pour Brassens et Brel, qu’étaient les cinquièmes roues du carrosse ! Pour Brassens, c’est son contrebassiste qu’écrivait tous les textes ! Et Brel, c’est son batteur qui lui apprenait les gestes et les grimaces.

 

« Car il était grimacier ! » Comme disait ma belle-mère !

 

Pas autant, pourtant, que le Fernand, que j’avais aperçu à la kermesse votive de Sainte-Hypocrite, où son groupe faisait la première partie du bal. Heureusement, seulement la première partie ! Parce qu’après, y avait Frédéric François et ça avait quand même une autre tenue ! Ah ! Si Frédéric avait pas été là, j’serais pas resté ! Ah ! Ca, non ! Frédéric François et Ringo Willy Cat, J’ai jamais manqué un seul de leurs concerts sur la communauté de communes ! J’suis même allé voir le sosie de Ringo à la supérette, près de SuperInterHyper, où il animait une opération promotionnelle sur les portes-fenêtres avec les frères Bogdanoff ! Eux, c’était les vrais !

 

Ca n’a pas duré la musique. Ni dans la grange ni ailleurs. Oh ! Ca pouvait pas ! Ils n’avaient rien pour eux, et surtout pas de relations ! Un peu plus tard, dans la grange, il y a eu la période mécanique mobylétière ! Les gamins avaient toujours les ongles en deuil et y puaient l’huile de moteur ! Heu… A 17 ans, y pensent toujours qu’à faire des conneries, et la propreté… Heureusement et par bonheur, le service militaire est arrivé ! Mais j’le dis toujours ! Ah ! J’l’ai déjà dit ! Tiens ! Même cette nuit ! Ca les remet d’équerre les gamins ! Enfin… Ca les remettait !

 

Puis, après encore, le Fernand est monté à Paris, enfin… à Massy-Palaiseau, où il est devenu vendeur de bagnoles d’occasion. Et puis, il est monté en grade. Il est devenu concessionnaire Simca et Panhard ! Ce qui n’était pas rien ! Quand il est revenu au pays, il était plein aux as ! Quand il a commencé à bricoler dans la grange, on a espéré qu’il aiderait les jeunes du coin, qui sont bien désœuvrés, et puis y avait ceux de Bazoges-sur-Surche, qui ont monté un club de ping-pong, et qu’ont bien souvent du mal à payer les maillots ! Il aurait pu faire ça Fernand, en souvenir du bon vieux temps ! Mais… Tu parles Charles ! Il a investi dans la restauration de la grange, avec de la faïence fuchsia, mais… C’est pas pour les jeunes ! Enfin… C’est pas pour les gamins ! Parce qu’il a monté un club échangiste grâce au soutien de la femme du sous-député-maire, qu’a le bras long, comme elle dit !

 

En tout cas, dans la grange, y a jamais eu de bêtises de faites : On n’a pas le droit d’y fumer ! Tant pis pour les mauvaises langues qui pensaient… Qu’y s’y feraient des bêtises !

 

 

 

 

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