« De vivre dans un trou où y s’passe jamais rrin ! »
Retranscription du 17 Mars 2010 de Serge
Le Vaillant
Il a 15 ans. 15 ans ! Keu-vin !
Mais ça s’écrit Kevin à ce qu’il semblerait ! 15 ans, il est en troisième
au collège Guy Lux à Choconin-les-Souilly. Pauv’ gosse ! Il se
plaint ! Il se plaint tout le temps de ne pas vivre à Paris, à Paris où y
a tout de même d’autres possibilités ! Ah ! Ah ! C’est-y pas
vrai ? Façon de nous reprocher de vivre, comme qu’y dit ? « De
vivre dans un trou où y s’passe jamais rrin ! » Ah !
Oui ! En plus, y dit : « Jamais rrin ! »
L’accent du pays, de la Surche, en Tarn-et-Saône ! Il a pas échappé à
l’accent du pays ! Ah ! Dis donc ! Y seraient heureux de
l’entendre à Paris ! Hé ! Hé ! Hé ! Enfin… Bref ! Il
renie ses origines, et il nous prend, nous, ses parents, pour des peigne-culs !
On vient de recevoir son livret, son
bulletin, son carnet scolaire ! J’sais plus comment y faut dire ! Y
me reprend, d’ailleurs, toujours ! Ah ! Y fait bien de me
reprendre ! Ah ! Y a de quoi me reprendre ! J’vous jure !
Le livret, y faut que je le réclame plusieurs fois avant de pouvoir le voir, le
consulter !
« Alors ? Le
livret ? »
Y me regarde avec sa face de crétin… Y
sait pas ! Y comprend pas de quoi je veux parler !
« Ahhhhhh ! » Au bout d’un
moment, y réagit !
« Ah ! Ah ! Oui ! Le
bulletin ? Il est pas encore arrivé ! »
Le bulletin, il est jamais arrivé !
Une année, il a essayé de me faire gober que ça n’existait plus, que
l’éducation nationale avait abandonné ces manières-là ! Hé ! Il a
essayé de me faire gober ça, en se payant ma tête qui plus-est !
Ringard que je suis, vieux has been, dépassé ! Jamais au courant de rien,
enfin… Jamais au courant de rrin ! 15 ans ! Ah ! Ah !
Ah ! 15 ans ! En troisième, exactement madame, vous qui suivez !
Il a une bonne année de retard ! Avec sa mère, la Solange, la bien
prénommée, ma chère épouse, la Solange née Gandon, une rouquine autrefois
flamboyante. Maintenant, elle est blonde avec des mèches corbeau pour faire
comme sa copine Monique qu’a un abonnement chez Paulette Coiffure ! Avec
la Solange, disais-je, on travaille tous les deux aux abattoirs ! Elle, à
l’équarrissage, et moi au secrétariat de direction ! Donc, on bosse !
Donc, on n’est pas à la maison dans la journée. Vous me suivez toujours ?
Donc, en notre absence, il pique le courrier dans la boite aux lettres !
Hé ! Voleur en plus ! Mon fils ? Voleur ! Traître à sa
famille qui pourtant le nourrit ! Il a tout pour plaire ! Un vrai
bonheur ! J’demande :
« On n’a pas reçu le carnet
scolaire ? »
Menteur ! J’l’ai pourtant pas élevé
comme ça ! Contrairement à ce que dit le psychologue, qui nous a expliqué
que c’était le résultat de notre éducation ! Hé ! Hé ! Il a dit
ça ce crétin ! Comme j’vous l’dit ! Ah ! Bon ? Parce que la
télé n’est pas intervenue ? La télé ne les intoxique pas ? Bon !
Allez ! Pas de télé à la maison ! Ou tout au moins, imaginons qu’il
n’y ait jamais eu de télévision à la maison, qu’il ne l’ait jamais
regardée ! Ah ! Ouais, mais l’intoxication, elle viendra
d’ailleurs ! A l’école par exemple ! Les gros mots, c’est pas à la maison
qu’il les a appris ! Bon… Peut-être quelques-uns ! Vous savez… Ceux
qui nous échappent ! « Merde ! Putain !
Con ! » Oui ! Mais les autres gros mots ?
Hein ? Ceux qui touchent, par exemple, à la sexualité ? Et en
grandissant, en dehors de la maison, il a appris et il apprend toujours
d’autres choses encore ! Mais c’est pas grave ! Pour ce qui est de la
maison, je ne démissionnerai pas !
« Il est pas arrivé son livret
scolaire ? »
Après quelques jours de demande,
j’entends la Solange qui lui souffle :
« Allez ! Va ! Donne-le à
ton père ! Y faut qu’y signe ! »
Parce que… Elle… Elle, la Solange, elle
était déjà au courant ! Comme de bien-entendu ! Ah ! Là, quand
il me le présente, il ne ricane plus ! La tête de veau ! Il lui
manque plus que le persil dans les trous de nez et dans les oreilles ! La
tête de crétin ! La tête de ceux qui devaient monter à l’échafaud
autrefois ! C’est ça ! Monter au Golgotha ! Il me présente le
carnet sur le coin de la table de la cuisine, en le tenant avec une main appuyée
dessus. Vous voyez ? Dans les manières du placier en assurances-vie !
Du vendeur de chez SuperInterHyper qui veut faire valider le contrat de la
confiance mutuelle en planquant un peu les articles écrits en petits
caractères ! Y me dit :
« Faut que tu signes
là ! »
Faut… Faut… Faut ? Oh !
Oh ! Faut que je lui arrache des mains le livret pour pouvoir le consulter
à mon aise !
« Ouais ! Ouais ! Minute
camarade ! Je lis ! »
Français : Médiocre.
Maths : Nul !
Physique : Aucun effort !
Histoire-Géo : N’apprend pas ses
leçons.
Anglais : catastrophique !
Anglais catastrophique ? C’est bien
la peine d’écouter du rap américain à longueur de journées ! Crétin !
Le rap, c’est pas pour la musique à ce qu’il paraît ! Et il écoute ça à
longueur de temps ! Avec le ipod… Oui ! C’est ça… Reprends-moi !
Le Aïl pod ! Tu fais bien ! Le ipod que lui a offert sa
marraine ! Il écoute ça et y comprend rien ! Enfin… Y comprend
rrin !
Le reste des matières ? A
l’avenant ! Y compris l’éducation physique ! Feignasse ! Feignasse
comme une couleuvre ! Oh ! Oui ! Je sais de qui il tient !
Sa famille maternelle, le coté Gandon ! Du monde joli et propre !
Tiens… Je m’écouterais, j’casserais tout ! Ah ! Oui ! Oui !
Je sais, c’est pas une solution ! C’est pourquoi, d’ailleurs je ne le fais
pas ! Je me retiens sagement ! Mais alors, je bous ! Je bous
intérieurement ! Tiens, si je lui donnais une bonne gifle ? La première que je lui adresserai de ma vie
et de la sienne ! Ca lui ferait du bien et à moi aussi ! Sur le
moment ça me ferait du bien… parce que je me connais ! J’m’en voudrais par
la suite durant des années, des années et des années ! Peut-être même
toute ma vie ! Et puis j’aurais pas fini de l’entendre se plaindre :
« Mon père, y me
battait ! Alors que j’avais rrin fait ! »
Espèce de truffe ! Ce n’était pas
parce que tu n’avais rrin fait, mais parce que tu ne faisais rien !
J’entends aussi sa mère :
« Comment ? Tu l’as tapé ?
Mais c’est pas des manières de traiter ainsi un enfant comme ça ! T’es
bourré ou quoi ? Tu deviens fou ! Salaud ! »
« Viens mon chéri ! Maman va te
passer un gant d’eau froide sur la joue pour te soulager ! Mais… Tu es
tout rouge ? Mais il a du te faire très mal cet imbécile ! Mais bien
sûr que papa est méchant ! »
Et après quelques minutes, le carnet est
oublié ! Toujours de son coté la Solange ! Hé ! Hé ! J’ai
bien compris leur manège ! Son manège ! Elle veut être son
amie ! Elle a pas l’impression de mélanger les rôles mémère ? Et puis
amie… Amie avec ce mec-là ? Menteur, voleur, renégat, franc comme un âne
qui recule ! Ma mémé Ursule, qu’était une bonne nature puisqu’elle riait
tout le temps, de ces mecs-là, elle disait :
« Y viendrait de bouffer un rat, on
verrait encore la queue sortir, y dirait que c’est pas vrai ! »
Amis… J’les connais ses amis à
Keu-vin ! Enfin… Ceux avec qui il reste à… J’allais dire à refaire le
monde… Mais faudrait déjà qu’il apprenne à se lever de bonne heure et… Qu’il
apprenne d’autres choses encore ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha !
Ah… Ca ! Pour nous prendre pour des narvalos, Ah ! Ca ! Il est
fort !
Encouragés par les écolos, les profs et
certains politiques, qui tapinent auprès des jeunes, entrainés par ceux-là qui
les informent que nous, les presque-anciens, on leur lègue un monde
dégueulasse, pollué, où les guerres sont partout ! Et puis y a le
nucléaire, et puis etc… etc… et le bec ! Alouette ! Ne vous en faites
pas ! On verra si leur génération est mieux ! On les verra à l’œuvre
lorsqu’il s’agira de payer nos retraites ! Et oui ! Les amis de
Keu-vin, je les connais ! Enfin… J’les vois ! J’les fréquente
pas ! J’suis pas comme Solange, qui veut faire amie ! Les amis de
Keu-vin ? Y sont quatre ou cinq ! En permanence dans l’abribus, à la
sortie de la ville ! Faut voir les graffitis qu’ils y laissent dans
l’abribus ! Même m’dame Viguier, qu’en a pourtant vu bien d’autres avec
son grand fils, même elle, elle était choquée par certains dessins ! Y
sont là, à l’abri du vent, de la pluie, ça fume, ça crapote, ça picole de la
bière, y a un tas de cannettes… Et puis ça pisse derrière l’abri ! Et pour
le reste, j’veux pas en savoir plus !
Son carnet, son livret, qu’est ce que je
peux y faire pour y remédier ? Hein ? Y travaille pour lui ! Je
ne cesse de lui claironner ! J’vais pas l’faire à sa place !
Alors ? Qu’est ce que je peux faire ? Lui payer des cours particulier
pour que ça s’améliore ? Hein ? Au lieu de squatter l’abribus,
tiens ! Qu’y prenne des cours de rattrapage ! Hé ! Tu
parles ! Feignasse comme une couleuvre ! S’il est pas volontaire pour
assumer le simple cursus scolaire, où c’est quand-même plus très difficile
d’arriver et de réussir le bac ! Hein ? Le bac, tiens ! Par
exemple ! T’en veux pas du bac ? Et ben, y te le donnent
quand-même ! Hein ? Y te forcent à le prendre ! Tu le refuse
encore, t’insiste, tu fais ta mauvaise tête ? Ils te menacent d’une
amende, de la prison ! Tu dois avoir ton bac ! Trois fautes de
français par phrase, racine carrée de 4 ? « Ha ? Heu… »
T’es pris de vertiges à l’oral ! « 1515 ? » Tu
réponds : « C’est pas une bière pression ? » Ils te le filent
quand-même ! Tu dois être bachelier ! Ca doit en arranger certains
dans les hautes sphères, sûrement ! Et puis régulièrement, dans « le
maillon faible » ou dans « Qui veut passer pour un con ? »
et dans d’autres jeux TV, on constate ainsi la faillite culturelle et
intellectuelle, sans que personne, d’ailleurs, ne crie au scandale !
D’ailleurs, qui ouvre sa gueule aujourd’hui ?
Moi, j’l’ouvre à la maison ! J’lui
dis :
« Tu devais aller au ski avec ta
mère en Février ? Et ben t’oublie ça ! Tant que tes notes ne
remontent pas, tu oublie le ski et les vacances ! »
Alors tout de suite, tout de suite la
Solange déboule dans la cuisine !
« Comment ?
Coooooommmmmennnnnt ? Annuler les vacances à Chatel ? Annuler ?
Mais alors (tu es) bourré ? (Tu) deviens fou ! (Tu as) tourné
bredin ! Enfin ! On a déjà versé une avance sur la location ! On
va pas la perdre ! Enfin ! Enfin ! »
Et l’autre, dans le dos de Solange qui
ricane ! Rien à faire ! Rien à faire ! Tu peux rien faire !
Enfin… Rrin faire ! D’ailleurs, il veut rrin faire ! Il sait pas ce
qu’il veut faire plus tard ! J’propose : « Cantonnier, balayeur,
réalisateur de radio de nuit ? » Y ricane ! Non !
Non ! Y ricane à son père ! Ah ! Non ! Tout ça, c’est pas
assez bien pour lui !
C’est pas assez bien pour lui ? Mais
y se prend pour qui ? Avec un carnet comme le sien en troisième, il espère
faire quoi plus tard ? A part gagner au loto ou gagner à « Qui veut
passer pour un con pendant une sacrée soirée ? »
Et pendant que je m’engueule avec sa
mère, lui, y retourne à l’abribus retrouver ses potes, fumer, boire de la
bière, faire des graffitis !
Ce qui m’énerve, c’est qu’ici, à
Issougny-les-Crémones, y a tout ce qu’y faut pour occuper les jeunes ! Le
sport : Football, tennis, cheval, parce que y a des jeunes qui font du
sport ! Y en a même qui deviennent champions ! Y en a même qui sont
applaudis pas leurs parents ! Et puis y a la bibliothèque, y a le centre
culturel ! Ouais ! Y a toutes sortes de choses ! Mais lui, y
veut rrin faire !
J’bois un coup ! Ouais !
Peut-être que tout à l’heure j’serai bourré ! C’est pas bin grave !
J’suis à la maison ! La Solange, elle s’est calmée ! Au fait ? Y
veut quoi pour son père Noël ? Un scooter ? Bé ! Et pourquoi un
scooter ? Parce que tous les autres en ont un ! Allez ! Va pour
le scooter ! On n’en a qu’un ! On veut tout lui donner !