De quoi j’vais me plaindre ? J’ai 37 ans !
Retranscription du 10 Mars 2010 de Serge Le Vaillant
De quoi j’vais me plaindre ?
J’ai 37 ans ! J’ai entendu à la
radio y à pas longtemps qu’y aurait un centenaire sur deux dans ma génération !
Y me reste encore un bout de chemin à faire ! Pour profiter de tous les
bienfaits de la vie, et… Y en a ! D’autant que j’suis pas exigeant ! J’suis un
gars simple avec des goûts modestes ! Des copains ! Tiens ! Les copains ! Un
sur deux jusqu’à 100 ans ! On a le temps de s’en raconter !
Parmi les copains, je le subodore ceux qui feront des centenaires ! Pas besoin d’être sorti du saint-suaire ! Antoine Guyader, deux paquets de clopes par jour… A votre avis ?
Fernand Poilbout, qui entraîne les cadettes au basket-ball, toujours en survêtement, y fera pas de vieux os non-plus, il ira pas loin ! Y va se faire péter le cœur !
Y a un âge où faut arrêter les conneries, notamment le sport ! D’autant qu’il fait du vélo le week-end ! Y a Moustapha, qui a les yeux qui sont plus en face des trous, rapport qu’il commence tous les matins vers 9 heures au blanc sec, avant d’enchainer avec le pastaga, le labrador-mimosa, pour conclure à des pas d’heures à l’élixir des goitreux !
Ouais ! Il a quand-même un atout de longévité pour lui : Il est pas marié ! Et qui dit pas marié dit aussi pas de belle-mère !
Deux bonnes raisons d’échapper au stress, dont on disait qu’il
était le mal du siècle ! Enfin… Le siècle précédant ! Et pour ce siècle-ci, ça
va être quoi ? Ca va être quoi la grosse maladie du siècle ? L’indifférence ?
La perte du savoir ? L’irrespect ? L’immunité ?
37 ans, tout pour être heureux, ah ! C’est vrai ! De bons copains et même de grands amis ! Tiens : Comme Jeannot Poilbout !
Jeannot, qui m’a aidé à refaire les sanitaires à la maison ! Sensible et serviable comme pas-un ! Et puis un joyeux drille ! Toujours une blague à raconter, une farce à faire ! Jeannot, y gagne à être connu ! On bosse ensemble aux abattoirs, à l’équarrissage ! On passe plus de temps l’un à coté de l’autre au boulot et au petit bar de l’Escale en haut de la côte du Paradis qu’avec nos familles ! Si on s’entendait pas, mais… Ce serait l’enfer ! Heureux je vous dis ! Une jolie petite épouse, qui la ramène pas trop, c'est-à-dire qu’elle a vite compris comment ça devait fonctionner avec moi, avec mézigue la Chantal !
Ah ! Mais, je
l’ai faite à ma main ! Y a des moments où faut pas trop me causer ! Surtout le
matin et le soir ! Le matin, y faut que j’émerge en douceur et que le café ne
soit pas brulant ! J’suis pas exigeant ! Et puis le soir, quand je rentre
vanné, moulu, y me semble tout-de-même que j’ai le droit à un peu de détente et
de pouvoir regarde la télé tranquille !
Pour le reste, pour ce qui est de la maison, c’est elle la patronne ! Cuisine, entretien de la baraque, lessive, jardinage, je lui fais… Une entière confiance ! Remarquez qu’y a tout-de-même des choses que les femmes ne peuvent pas comprendre ! Ah ! C’est une loi naturelle ! Heu… Comme purger les radiateurs ! Changer les fusibles ! Déboucher un siphon ! Régler, programmer l’enregistrement d’un dvd ! Ca, c’est pas leur domaine ! Mon vieux, t’as beau leur expliquer trois, quatre, dix fois… Rien à faire ! Heureux ! Avec Chantal, on a deux drôles : Steven ou Stevan, j’ai jamais très bien su comment on prononçait ! De toute façon, à la maison, on l’appelle Totophe ! Il aura huit ans. La saison prochaine, il va entrer dans l’équipe des poussins au football, à l’étoile rouge d’Issougny-les-Crémones ! Et l’autre, la grande, Kimberley, 14 ans, une catastrophe ! Faut entendre comment elle me parle depuis qu’elle s’est laissé pousser le string et le maquillage !
Ah ! Et puis, j’ai encore ma mère ! Et puis mes deux grands-mères !
Ah ! Leur génération, elle a d’autres statistiques que la notre
! Elles, elles survivent aux messieurs ! Oh ! C’est pas qu’elles soient plus
costaudes ! C’est surtout parce qu’elles sont moins esquintées par le boulot !
Ah ! Ben ! Y a des chiffres ! Y a des analyses en laboratoire à ce sujet ! Ma
mère, elle explique que les femmes, elles ont aussi moins fait d’excès en
certains domaines ! Hé… C’est sûr ! Mais pour le boulot aussi ! C’était, et
c’est sans excès !
Et puis, l’hiver, Chantal emmène les drôles pendant une
semaine faire du ski au Cap D’Agde ! On n’a pas à se plaindre ! Surtout avec
les salaires toujours en hausse, le pouvoir d’achat qui ne cesse de grimper, la
sécurité de plus-en-plus sociale et de moins-en-moins policière ! D’ailleurs, y
a de moins-en-moins de violences, de plus-en-plus de libertés, de
moins-en-moins de laissés pour compte ! Le travail manuel valorisé tandis qu’on
bâtit des fortunes dans la spéculation, l’immobilier, le placement en bourse,
les délocalisations : Le meilleur des mondes, qui va vers le progrès ! Et la
santé ! Et la santé ! Un sur deux centenaire ! J’espère parler pour moi ! Pour
compléter le tableau !
En Août, après trois-quatre semaines au camping des
hortensias à Bénodet, en famille, début Août, je reviens en Tarn-et-Saône,
reprendre le collier aux abattoirs tandis que Chantal va chez sa mère, à la
Grande-Motte, avec les drôles ! Afin que la belle-doche en profite quoi ! Pour
ma part, ben… C’est l’occasion… Comment dire ? De passer un peu plus de temps
avec Gilberte ! Gilberte !
Gilberte, ses zones érogènes ? Même les aisselles ! Partout
! Elle, jouir, ça la fait pas rire ! C’est de la petite mort qui réveille les
voisins ! Une rousse en plus ! Ah ! La vérité, si je mens, on est tombés en
amour au bon moment ! Surtout pour moi ! J’avais besoin de me sentir encore
jeune homme ! Hé ! Dis donc ! Le premier qui y a jamais pensé me jette la
première pierre ! Puis y avait le sentiment aussi ! Ca se commande pas quand
c’est Hippie-dermique le sentiment ! Et surtout, pour pas créer de problèmes,
j’arrivais à passer deux soirées avec elle ! Deux soirées ! Elle s’rendait pas
compte ! Merde ! Y a les drôles ! J’fais pas ce que je veux ! Faut être
raisonnable ! Combien de fois, en revenant dans l’Opel Kadett, j’étais en prise
à des doutes considérables ? Considérab’ comme on dit dans le Tarn-et-Saône !
Elle ? Ben… Elle voulait une vie normale ! Des enfants ! Gilberte ! Les mois
d’Août passés ensemble, ça la calmait un peu ! Enfin… On se planquait ! J’ai ma
conscience ! Heureusement que j’habite à l’écart du bourg ! Mais je flippais
tout le temps ! Huit ans ! Huit ans ça a duré ! Six mois de passion, sept ans
et demie d’enfer ! Fallait se cacher, elle voulait un enfant, l’alliance, le
compte d’épargne-logement…
Quand elle a rencontré ce mec de Boursault-neuf-Moutiers, franchement, j’pouvais pas être mécontent ! J’étais soulagé ! Hé ! Dis-donc ! Arrive un âge où faut être sérieux ! Où y faut gagner en philosophie ! Un âge où on ne se met plus au garde à vous devant une paire de seins !
Et puis… non ! Et
puis… Non ! Non ! J’ai été malheureux comme un chien ! Et puis, je ne pouvais
rien en laisser paraître devant Chantal et les mômes ! Ouais ! Ben oui ! Quand
elle m’a quitté pour le gars de Boursault-neuf-Moutiers, j’étais malheureux
comme une bête ! J’ai chialé plus qu’aux obsèques de tonton Fernand ! C’est
vous dire ! C’est tout dire !
J’en ai un peu causé avec Moustapha ! Célibataire, lui,
qu’est ce qu’il y connaît ? Et puis, en désespoir de cause, au bout de deux
jours, j’suis allé chez Micheline pharmacie ! Ah ! Oui ! Ah ! Ben… J’ai pas
honte de le dire ! Je porte un patch anti amour ! Pour mieux négocier l’absence
de Gilberte ! Ah ! Les premiers jours, j’dis pas que ça a été facile ! Mais
alors le patch, ça t’apporte un confort, ça te distille de bonnes idées !
Confort !
De quoi j’vais me plaindre ? J’ai 37 ans ! Et croyez-moi, le
patch je ne le porterai pas jusqu’à 100 !