La photographie de la Sainte trinité de la chanson française (redif)

Ré-entendu le 3 Juin 2010

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 30 Septembre 2009 de Serge Le Vaillant)

Sur un des murs de la salle à manger, trône la photographie de la Sainte Trinité de la chanson française ! Par ordre alphabétique, Brel, Brassens, Ferré ! Ordre alphabétique contrôlé en laboratoire par Jean-Pierre Foucault, présentateur d’émissions importées démontrant l’échec patent de l’éducation nationale, depuis trente ans au moins ! Ces trois chanteurs-là, c’était les goûts de son feu !

Le regretté Armand Berthoud, qu’était bien connu sur la région agglomérée puisqu’il tenait le Chamboultou à la kermesse chaque hiver. En privé, il aimait acclamer qu’il était très chanson française ! Et il ne manquait pas une seule occasion de ponctuer les conversations d’un refrain senti, comme d’autres citent un proverbe ou une maxime philosophique. Du temps de son vivant, elle n’osait pas le reprendre, connaissant trop bien la mesure de ses certitudes.

Mais maintenant qu’il n’est plus là, Armand, elle peut bien le signifier à qui peut bien lui prêter attention, en général et en l’occurrence et dans le cas précis à Madeleine Chassus, sa voisine,

elle peut bien le dire maintenant, son défunt ne disait pas que des vérités premières ! Elle en veut pour preuve flagrante que si ces trois là affichés sur un des murs de la salle à manger étaient bien peu chanteurs, ils étaient pas tous Français !

« Chacun ne le sait pas toujours, mais Brel, par exemple, était Belge avec un peu de Hollandais sur les bords, rapport à sa parenté maternelle ! Né en 1927, tiens, comme le cousin Pascal ! Mais Brel à Knock-le-Zout où son père était établi menuisier ! Il avait une belle affaire d’ailleurs ! Que Brel aurait pu reprendre ! Mais, comme tous les artistes, il était faignant comme une couleuvre ! Alors, il a préféré faire la vie à Paris !

Remarquez, il a pas trop mal réussi dans son genre ! Mais, comme de juste, ça n’était pas du seulement à son travail et à son talent ! Comme beaucoup d’autres, il a été aidé, poussé, pistonné par Annie Cordy ! Ah ! Ben ! C’est connu ! Une fille de son pays entre parenthèses… Les chats font pas des chiens ! A l’époque, Annie Cordy, c’était une grande dame qui faisait la pluie et le beau temps dans le spectacle ! C’est elle qui a imposé Moustaki ! Et André Pousse, qu’était un bon acteur en tant que gangster, mais qui chantait très mal ! Son « Whisky, Cigarettes et petite pépées » Ca valait pas tripette ! »

Elle se gratte l’occiput de la pointe d’une aiguille à tricoter, madame Chassus devant elle opine du chef. Ouais ! Son mari disait pas mal de bêtises ! Mais oui y disait des bêtises ! Plusieurs fois, elle a vérifié dans le Quid ! Elle s’excuse, mais…

 « Brel, il était pas français ! D’ailleurs, il est mort à Tahiti ! C’est tout dire ! Enfin… Paix à son âme ! Il faut reconnaître qu’il a fait deux ou trois chansons qui étaient pas mal ! Dont la valse à mille temps ! Mais alors le reste… Pardon ! Mais c’est d’une tristesse à faire pleuvoir ! C’est curieux d’ailleurs parce que les Belges sont réputés internationalement pour leur penchant à la rigolade ! Des bons vivants en plus ! »

 « Brassens ! Une autre affaire ! Grossier ! Vulgaire au possible ! Il a été interdit de télévision pendant des années à cause de ça ! Ah ! Mais c’est notoire ! Remarquez, y chanterait ses saloperies de nos jours, plus personne ne ferait attention ! Quant à sa musique, toujours la même chose : « Poum ! Poum ! Poum ! Poum ! » Il a jamais été plus loin ! Ah ! Il s’embarrassait pas avec ça ! »

Et au même tarif, elle veut bien en faire autant !

 « Parce que ces gens là amassent des fortunes comme on peut pas avoir idée ! Pourtant, quand on voit comme ils sont attifés sur la photo… On leur aurait donné trois sous dans la rue ! Tiens ! Avec l’argent, Brel aurait pu retourner au coiffeur faire rectifier sa teinture ! Et ça buvait de la bière en cannette autour de cendriers dégueulasses ! Si c’est ça la vie de vedette ! Merci ! »

A propos de Brassens ! Pour lui non plus, elle ne peut pas affirmer qu’il est pleinement Français !

 « Un type du sud ! Hin ! Hin! Hin! C’est tout dire! Ces gars là mon vieux, y sont souvent mâtinés cochons d’Inde ! Sa mère, qui se prénommait Elvira lui a sûrement donné pour moitié du sang espagnol ! »

Elle n’aime pas Brassens ! Particulièrement sa moustache à Brassens ! Quand son feu était encore de ce monde, elle en a mangé ! Elle en a soupé, elle en a bouffé du Brassens ! Des journées entières le même disque sur le pick-up ! Pourtant, elle serait bien en peine de fredonner une seule chanson en entier ! Oui ! Quelques bribes ! Des bouts de refrains et quelques mélodies !

 « Ah ! La mélodie chez Brassens, c’est pas compliqué ! Toujours la même chose ! « Poum ! Poum ! Poum ! Poum ! » »

Elle verse du café dans la tasse de Madeleine Chassus !

 « Tiens ! A propos de coiffeur ! Léo Ferré ! Non, mais faut le voir pour le croire ! Un épouvantail pour les moineaux ! Il a du servir de modèle pour réaliser le père Fouras ! Y avait un vieux autrefois au pays qui lui ressemblait à Léo Ferré ! Dédé Boulard !

Qui vivait dans un wagon abandonné au bord du bois du Villarnard ! Il était sale comme un pou ! On disait qu’il avait si mauvaise haleine que lorsqu’il mangeait du blanc de poulet, y devait croire que c’était du faisan ! Et fallait pas compter sur lui pour enrichir le coiffeur ! Y coupait rien ! Ca devait tomber tout seul ! Il avait une sorte de crinière jaune paille autour d’un aérodrome à mouches ! Ah ! Ca lui donnait vraiment bon genre ! »

A chaque fois qu’elle voyait Léo Ferré à la télévision, elle pensait à Dédé ! Hein ! Elle peut pas s’en empêcher ! C’est comme qui dirait : « Un réflexe » !

 « Léo Ferré ! Y a pas une seule chanson valable et connue ! S’il avait pas été Franc-maçon, personne n’aurait jamais parlé de lui ! Bah ! C’est connu ! Ce monde-là s’entraide à qui mieux-mieux pour avoir les bonnes places ! En plus, Léo ! J’vous demande ! Léo ! Et pourquoi pas Léon Ferré comme un honnête homme ? Sûrement parce qu’il était israélite pour couronner le tout ! D’abord, il le porte sur son visage ! Personne ne pourra dire le contraire ! Et puis, c’est de source sûre. Le beau-frère d’Henri Garage du Centre, Marcel, qu’on disait tête brulée, et qui s’est noyé dans le Souilly en 63… Marcel avait servi sous les ordres de Léo Ferré en Indochine ! Et il pouvait en dire de belles !»

 « Y a qu’à les voir fumer tous les trois comme des pompiers pour se douter de certaines choses ! »

Elle va la retirer la photo. Brel-Brassens-Ferré, c’est pas son monde ! Et c’est un mauvais exemple pour ses petits-enfants !

 « Belges, Francs-maçons et Juifs, mais… le show-business en est plein ! Et puis… Des homosexuels ! D’ailleurs, il y a peu, les gens de couleur s’en sont plaint ! Et à juste titre puisque les autres ne les laissent pas entrer dans la télévision, ou si peu ! Quand on songe à toutes les études et à tous les efforts que ce pauvre Harry a du accomplir pour succéder temporairement à monsieur Poivre ! »

Brel-Brassens-Ferré ? Zéro ! Elle donne tout pour Bécaud ! Oh! Bécaud! Ah! Faut pas toucher à son Gilbert!

 « Pourquoi il est pas sur la photo Bécaud ? »

 Oui ! Elle le sait !

 « Parce que lui, il avait pas de temps à perdre à des discussions de bistrot en compagnie de parasites ! Lui, monsieur Bécaud, y fumait pas ! Il ne buvait pas ! Il avait une vie correcte ! Toujours bien coiffé ! Toujours bien rasé et lavé propre ! Avec les belles cravates que sa maman lui confectionnait dans ses robes à pois ! »

Voilà ! Gilbert Bécaud, c’était son genre ! Tout comme Jean-Jacques Debout, qui avec la petite qui ressemble encore à une poupée alors qu’elle va sur ses 80 et quelques ! Comme Charles Aznavour ! Qui est très bien aussi à sa façon ! Souvent, quand elle désherbe le jardin, elle sait pas trop bien pourquoi, elle fredonne du Aznavour, qu’a fait tant et tant de si belles chansons ! Et toujours du vécu ! C’est pour ça que c’est poignant !

 « Dans « J’me voyais déjà », il raconte ses débuts monsieur Aznavour ! Dans « Tu te laisses aller ! », y parle de sa femme ! Il a eu bien des malheurs ! Mais à présent, ça va mieux ! Quand on songe qu’il vivait seul qu’il vivait seul avec sa mère dans un très vieil appartement ! Et aujourd’hui, il chante en Amérique ! »

Elle passe un coup de torchon sur la toile cirée.

 « Oui ! Y en avait bien d’autres que ces trois-là, et qui, souvent, les valaient mieux ! Sacha Distel, qui faisait de si belles émissions avec Guy Lux, qui n’a pas encore été remplacé ! »

Elle se souvient des beaux décors pétillants, des costumes pétillants, des grands orchestres de Jean Lefèvre !

 « On venait devant le poste à cette époque-là comme on s’installe au théâtre ! Les présentateurs se tenaient debout, ils étaient souriants, il remerciaient le public ! Y a plus que la petite Evelyne Thomas qui sache faire cela maintenant ! Oui ! Celle qui est devenue Marianne dans les Mairies et qui, comme de bien entendu, a été virée du poste ! C’est toujours pareil ! Dès qu’il y a quelqu’un de compétent dans un domaine, ça créé des jalousies, nécessairement ! »

Elle se souvent aussi de Jean-Claude Pascal avec sa belle voix grave !

François Deguelt ! Salvatore Adamo !

Y z’avaient pas une seule mèche de travers, pas un seul pli à leur veston, et pourtant, ça n’empêchait pas la fantaisie ! Elle se lève et elle fredonne, faisant mine de prendre la voisine dans ses bras : « Vous permettez, monsieur, que j’emprunte votre fille-euh ? »

Son feu, Armand, lui reprochait sans arrêt son gout pour ce qu’il appelait des conneries ! Lui, il déplorait qu’on ne voit pas suffisamment des canailles tels que Guy Béart, Claude Nougaro ou Maurice Fanon ! Ah ! Oui ! Du monde joli et propre ! Communistes ! Et imbibés par-dessus le marché ! Elle fait mine de tituber et elle bredouille :

 « Je suis saoul, saoul, saoul, sous ton balcon ! Marie-Claudine-euh ! »

Ouais ! La belle affaire !

Aujourd’hui, elle ne peut plus regarder la télévision. Trop de mouvements de caméra ! Trop de gros plans, on ne plus où on en est ! Puis ça va trop vite ! On ne peut plus poser le regard ! Et de la publicité à n’en plus finir ! Ca lui fait tourner la tête ! Pourtant, y a des jeunes qui sont pas mal ! Comme ce Bonobar ! Qui chante qu’il aimait bien les émissions de variétés d’autrefois lui-aussi ! Il est mignon ! Bien poli ! Les cheveux courts ! Puis il a toujours une veste ! Bon… Il la passe par-dessus un polo… Un tricot de peau ! Surement pour se donner un genre lui-aussi !

Elle va retirer la photo des trois anciens. Madame Chassus, Madeleine, l’aidera ! Ainsi, elle aura le sentiment de moins attenter à la mémoire de son défunt ! Tiens ! Si elle avait pu organiser la rencontre historique de la chanson française, elle aurait pas pris ces trois là ! Elle aurait mis d’abord une belle nappe ! Puis, elle aurait préparé un bon frichti ! Elle aurait invité Gilbert Bécaud, Charles Aznavour et… Madeleine propose Charles Trenet ! Oh ! Ah ! Non ! Pas Charles Trenet ! Elle comprend que Madeleine apprécie quelques-unes des ses chansons, mais Madeleine ne peut pas ignorer certaines choses tout de même ! Y a pas que des rumeurs de fumée sans feu ! Certes, à cette époque-là, ces affaires ne s’étalaient pas comme aujourd’hui à tout propos, c’était caché ! C’était tant mieux d’un sens ! Mais, mais cela ne changeait rien au fond du problème ! On ne peut pas imaginer faire diner messieurs Bécaud et Aznavour avec un… Enfin… Avec quelqu’un qui préférait les messieurs ! Oh ! Elle a rien contre, hein ! Chacun fait ce qu’il veut ! Mais, elle ne peut nier qu’elle pensait à cette mauvaise réputation à chaque fois qu’elle l’entendait ou le voyait chanter ! Elle ne devait pas être la seule ! Non ! En revanche, elle pense que messieurs Bécaud et Aznavour auraient eu beaucoup de plaisir à se retrouver à table, par exemple… avec Luis Mariano !

Ah ! Luis Mariano ! Quelle voix ! Un vrai chanteur qui se passait très bien de micro ! Oh ! Elle peut en témoigner pour l’avoir vu deux fois au Chatelet ! Oh ! Quelle merveille ! Toutes les femmes étaient à ses genoux ! On les appelait les marianistes ! Et, elle en était elle-même ! Oh ! Oui ! Ah! Luis, ah ! Elle aurait dit oui! Oh ! Non ! Elle aurait pas dit non ! Elle aurait dit oui ! Elle se serait bien laissée faire ! On dit de ces bêtises en prenant de l’âge ! Hé ! Hé ! Quand elle s’ouvrait de son admiration pour Luis, son feu faisait des bonds de quinze mètres ! Le pire, c’est que ça n’était même pas par jalousie sentimentale ! De nouveau, il prétendait que ses chansons n’étaient que des conneries ! L’amour… Oui ! L’amour est un bouquet de violettes, c’est une connerie ?

Ils ont jamais été d’accord dans le registre de la chanson ! A part une fois ! Quand Daniel Guichard a chanté « mon vieux » ! Faut pas qu’elle en parle ! Elle va pleurer ! Ah ! Tiens ! Pour la réunion historique, elle aurait invité Bécaud, Luis Mariano et Daniel Guichard. Et puis elle les aurait régalés avec sa recette de bouchées à la reine au mou ! Elle aurait fait une belle table ! Avec un bouquet de tulipes. On aurait fait une photo souvenir en couleur ! En couleur ! Qui se serait sans doute mieux vendue que celle qu’elle va bientôt retirer du mur ! Oui ! Elle va le faire ! Avec l’aide de Madeleine ! C’est-y-pas vrai ? Oui ! Ce sera un arrache-cœur parce que l’image lui rappelle Armand s’il en est besoin ! Hein ? Ils ont quand même eu de bons moments ! N’empêche qu’Armand, il racontait beaucoup de bêtises !