J’lui ressers de la tête de veau !

Retranscription du 21 Janvier 2010 de Serge Le Vaillant

Stéphanie, c’est ma belle-sœur Stéphanie !

La femme à mon beauf quoi ! Comme qui dirait ! Et donc par les faits en eux-mêmes ! Lui, c’est le petit frangin à mon épouse !

Je dis petit… Faut voir le bestiau ! Vaut mieux l’inviter au cinéma que de lui payer le resto ! Y bouffe ! Y bouffe ! Maintenant qu’il a passé les 40 carats, on lui dit de faire attention ! C’est vrai ! C’est valable pour bien des choses et des domaines ! Y un âge où y faut arrêter les conneries ! Y bouffe ! Mais y bouffe ! D’après sa mère, ma belle-mère donc, si vous me suivez, ce que j’espère bien volontiers ! D’après sa mère, ou plus joliment nommée « La belle-doche », il aurait dépassé les 280 livres ! Pas en lecture ! Non madame ! 140 kilos !

140 kilos ! Il est embêté avec ça ! Parce qu’il est plutôt de nature timide ! D’ailleurs, son épouse Stéphanie, ma belle-sœur, ne tolérerait pas qu’il la ramène, pas même qu’il se mette en évidence ! Ah ! Direct, elle lui envoie dans les gencives ! Direct, elle tire la laisse !

« Maurice ! On n’entend que toi ! »

« Maurice ! N’embête pas les gens avec tes histoires ! »

« Maurice ! Arrête ! On va penser que tu te vantes ! »

Ah ! Oui ! Il est bien embêté ! Chez nous, il a déjà bousillé deux chaises !

Durant des diners, crac ! V’là Maurice les quatre fers en l’air ! Chez lui, le lit tient en moyenne deux ans ! On le met en garde ! Il a déjà eu des pépins souvent ! Des alertes comme dit sa mère, ma belle-maman ! Ca a commencé un jour de barbecue. Il s’était envoyé je ne sais combien de chipolatas et de merguez, avec du pain et de la mayonnaise, dont il est très friand !

Il s’était envoyé aussi l’apéro, avec les cacahuètes, les racloutes, les chips à l’ancienne ! Et je parle plus de ma belle-mère…

A un moment, il est devenu violet,il arrivait plus à respirer ! Il est tombé à la renverse ! Un étourdissement ! Bien embêtés ! Mais bien sûr qu’on était embêtés pour le relever ! 280 livres ! On n’était que deux hommes ! A un moment, on a cru avec le beau-père, qu’était encore de son vivant, qu’on serait obligés d’installer un portique, avec un palan !

Je crois qu’il a encore pris Maurice, mon beauf ! En tout cas, à chaque fois qu’il vient à la maison, il prend ! Ah ! Ca ! Nous, on sait recevoir ! On va pas lui faire du poisson à la vapeur, des endives arrosées d’eau minérale, lui présenter de la salade de pamplemousse aux crevettes, ou de la crème de gruyère à 3.7% en guise de plateau de fromage ! Ah ! Il serait pas content ! Oh ! Il dirait rien, tout timide qu’il est ! Y serait triste ! Penaud ! C’est tout ! Encore plus embêté que d’habitude ! IL prendrait sa tête de cocker diabétique ! Y totosserait en silence tous les quignons, tous les bouts de pain de la corbeille ! Et l’autre, son épouse Stéphanie lui dirait :

« Maurice ! Arrête de piocher ! Laisse-z-en pour les autres ! Arrête de grignoter ! Regarde ! T’as tout bouffé le pot de moutarde ! Tu me fais honte !»

Durant un temps, la belle-sœur a essayé de le brider ! Plusieurs fois, elle l’a inscrit à des cours, à des stages, pour perdre des kilos ! Y a une dizaine d’année, elle lui a offert un vélo pour son anniversaire ! A ce moment-là, il était encore… Il n’était encore qu’autour du quintal ! Et ça lui plaisait bien le vélo ! Y partait le dimanche avec d’autres camarades, Y se vantait de faire des 150-160 kilomètres ! Y m’encourageait à venir ! Ah ! Dis donc ! 150 bornes à vélo le dimanche ? Hé ! Hé ! Merci ! J’préfère me reposer dans le canapé devant les chiens à Drucker ! 150 bornes ? Le pauvre, y revenait dans des états… Et surtout, avec des fringales ! Dès qu’il arrivait, le réfrigérateur prenait une claque !

Une dizaine d’années plus tard, 80 livres de plus ! Et le vélo qui ne supporte plus son poids, les roues voilées, le vélo qui roule dans l’appentis ! Ah ! Les pauvres gens ! Enfin, à la maison, j’veux dire chez moi, chez nous, il a pas à se plaindre quand y vient ! On met les petits plats dans les grands ! On lui sert du museau mayonnaise ! Ah ! Y préfère la mayo à la vinaigrette ! Et on pleure pas sur l’huile ! Ca aussi, l’huile, il en est aussi très friand ! Comme les patates à la graisse d’oie ! Oh ! Ca… Faut pas lui en promettre ! Et le porc confit, et le gras-double ! Et les pieds paquets ! Et la tête de veau ! La tête de veau, surtout quand y a beaucoup de gelée ! bien sûr ! Y bouffe ! Y bouffe ! J’le regarde à l’apéro ! Ce qu’il aime bien quand on lui fait des rondelles de saucisson à l’ail, c’est d’abord de manger les petits bouts blancs qu’y a dans la rondelle ! Y bouffe !

Y boit aussi ! Ah ! De tout ! Sans mettre à coté ! Mais, jamais bourré ! Ah ! Jamais ! En tout cas, ça se voit pas !

Y fume aussi ! Et comme un pompier ! Ah ! Mais ! Pour ça aussi, on lui dit de faire gaffe ! Mais… Y peut pas arrêter ! Ou plutôt, y veut pas ! Y s’en sent pas capable ! En plus, il fume des anglaises qui empestent tout le monde, qui emboucanent toute la baraque ! Et clope sur clope ! Entre les plats ! Y peut pas arrêter ! Y s’en sent pas la force ni le caractère ! IL est trop intoxiqué ! Il peut pas rester cinq minutes sans tirer une taffe ! Cinq minutes tranquille, zen, serein, peinard ! Non ! Faut qu’y bombarde ! Pourtant, là-encore, le médecin l’a déjà mis en garde ! Mais ça, c’est connu ! C’est comme pour tout le monde ! Tant que le toubib ne vous annonce pas la grosse catastrophe, ça en touche une, ça bouge pas l’autre ! Ca rentre par une oreille, ça ressort par l’autre ! Comme on dit ! Surtout, il veut pas arrêter, car… Il a déjà essayé, et ça avait été une catastrophe ! Il était devenu énervé au possible, et surtout, il avait encore grossi !

 Stéphanie, la belle-sœur, elle est pas d’accord pour que Maurice arrête de fumer ! Ah ! Pour ça, elle ne l’aidera jamais ! Elle ne l’encouragera jamais ! Elle se souvient quand il a essayé ! Ah ! Il était trop énervé ! Elle avait du mal à le tenir ! Et puis c’est vrai ! Il avait pris beaucoup de poids, qu’il n’a d’ailleurs pas perdu ! Stéphanie, la belle-sœur, elle en a marre des lits dont le sommier casse tous les deux ans ! Les chemises qui craquent dans le dos, les pantalons qui pètent à l’entrejambe, des pantalons, des jeans, des salopettes ! Ca lui va bien la salopette à Maurice ! Des chemises… Quand on en trouve à sa taille ! Hé ! C’est pas dans tous les magasins, c’est pas dans les magasins de tout le monde qu’on trouve à l’habiller XXXX… Elle sait plus combien de X avant le L ! Dans le magasin, tout en nage, dans la cabine d’essayage, il essaie le bas de survêtement ! Le plus grand qu’on ai trouvé, ça lui fait quand-même des cuisses de crapaud ! Et le sweat-shirt ? Il essaye le sweat-shirt, il peut plus baisser les bras sans provoquer une catastrophe ! Il semble emmailloté comme les nourrissons d’autrefois !

« Vas-y Maurice ! Reprend de la tête de veau ! Avec de la bonne gelée ! J’t’en mets sur tes patates frites à la graisse d’oie ! Tu prendras des harengs à l’huile en sortie ? Et du beurre ? T’en veux du beurre sur ton pain, pour saucer ? »

C’est Stéphanie, la belle-sœur, qui lui propose de lui tartiner ! Du pain pour qu’y sauce !! Eh… Elle lui fait honte ! Même en famille, devant la famille ! C’est dire ! Bah ! D’ailleurs, elle le dit ! Elle le fait !

Il était pas comme ça avant ! C'est-à-dire, avant le mariage ! Ah ! Dans l’affaire, elle s’est fait avoir Stéphanie, finalement ! En deux ans, après les noces, ah ! Il a changé du tout au tout ! Il voulait plus sortir, plus aller danser ! C’était pourtant un bon exercice ! C’est pas compliqué ! Y a qu’à feuilleter l’album de photos, qui commence, comme de juste, avec celle des épousailles ! Et deux ans plus tard, on le reconnaît à peine, sur la plage de Bénodet ! On dirait lui, mais en mal dessiné, avec quand-même un air de famille ! Tout de suite après le mariage, il s’est laissé aller ! Elle le revoit sur le canapé, devant la télé, la manette de la console de jeu vidéo en main, il jouait à devenir champion du monde de football ! Pendant des heures, pendant des week-ends ! Y gueulait quand elle essayait d’essuyer la table du salon devant lui lorsqu’elle virait les saladiers de chips vides et ceux de biscuits soufflés au fromage, et les cendriers dégueulasses débordants de mégots ! Lui, il gueulait ! Parce qu’elle lui avait fait manquer une action en passant devant la tv ! Il avait pris un but ! Ou il en avait loupé un qui aurait pu lui permettre de passer en huitième de finale ! Ah ! A la console de jeu vidéo, il est resté sportif ! Je dis : Il gueulait… Il gueulait comme un enfant ! Comme un ado ! Ah ! Ben c’est vrai qu’ils gueulent les gamins, les gosses, de nos jours ! Ah ! De plus en plus ! Enfin… Moi, j’ai cette impression ! D’après ce que je vois dans le train, sur les plages, dans les magasins ! Ah ! J’ai le sentiment que ce sont eux qui commandent de plus en plus souvent ! J’ai bien fait de pas en avoir ! Ah ! J’aurais pas supporté ! Stéphanie et Maurice non plus ils ont pas d’enfants ! Et comme dit la belle-sœur :

« J’ai assez d’un seul gosse à la maison ! »

Elle cause de son époux bien sûr ! Donc, lui aussi, ça lui arrive de gueuler ! Mais comme un gamin, donc ! Ca va pas très loin ! Y peut faire des comédies ! Se rouler par terre en trépignant ! Ca lui arrive ! La belle-sœur, elle cède pas forcément ! Ah ! C’est elle qui a toujours le dernier mot ! Elle y tient ! Elle va même jusqu’à le punir ! Et ça passe en général par la tv, dont il est gros, gros consommateur ! Elle a mit un code pour accéder au bouquet satellite ! Un code qu’elle est la seule à connaître ! Et quand elle le compose sur la zapette, lui faut qu’il ferme les yeux, qu’il tourne le dos ! Comme ça, si y veut voir son football, ses dessins animés japonais, ou ses films pornos dégueulasses, cradingues dont il est très friand, et ben, faut qu’y se tienne à carreau !

Evidemment, vous me direz, ça fait de drôles de vies tout de même ! Oh ! Pour Maurice, j’dis pas ! Dans sa graisse, il est bien confortable et heureux ! A sa manière ! Lent suicide à la gourmandise que d’autres nomment la goinfrerie ! Pour l’instant, il passe entre les mailles du filet malgré ses analyses désastreuses ! Ses bilans sanguins catastrophiques, quand il accepte de les faire, quand il accepte de les lire ! Y flippe ! Il a les chocottes à zéro, les flubes d’aller voir le médecin, d’entendre une vérité qu’il redoute ! Le régime, il y pense parfois ! Ah ! Faudra bien ! Y repousse toujours l’échéance, comme pour arrêter la picole, le jaja, le tutu ! Pour la clope, il arrêtera pas ! Je vous l’ai déjà dit, puisque Stéphanie veut pas ! C’est vrai que la fois où il avait essayé d’arrêter, il était devenu très nerveux ! Pénible ! En plus poli, chiant comme la pluie !

Moi, à la maison, j’lui ressers de la tête de veau !

Avec beaucoup de gelée sur les patates frites à la graisse d’oie ! Comme d’habitude, à chaque fin de réunion familiale, il s’écroulera dans le canapé !

J’irai pas construire un portique ni chercher un palan pour le lever ! Sa sœur, ma femme si vous me suivez, débarrassera, fera la vaisselle, et pendant ce temps, moi j’irai donner du bonheur, à l’étage, à ma belle-sœur, ma maitresse depuis des années, depuis toujours !