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Dépèches du Tarn et Saone
5 janvier 2010

Le goût du Pain (Redif)

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 4 Novembre 2008 de Serge Le Vaillant)

Rediffusé le 1er Janvier 2010

boulangerie

A 10 heures, voilà Jean-Claude qui arrive. Alors, on dit :

« Salut Jean-Claude ! » Normal ! Et lui, il répond :

« Salut ! Ca va tout le monde ? »

bistrot

On est trois, ou cinq, ça dépend des jours. Il sert les mains, y compris celle du patron, l’Olivier, en lui demandant de lui servir un p’tit blanc. 10 heures. Un p’tit blanc ! Re-normal ! Comme j’vous l’dis !

bistrot2

Lui, c’est Jean-Claude Pilorget, qu’est bien connu sur la communauté de communes en habitations de logements, car il était naguère Ailier gauche de l’équipe de hand-ball de Bazoges-sur-Surche ! L’année où ils étaient montés en promotion d’honneur et qu’ils étaient allés en quart de finale de la coupe départementale ! Et puis, Jean-Claude avait sauvé la petite Viguier ! Jocelyne Viguier qui était tombée dans le Souilly.

souilly

Qu’est ce qui s’était passé ? Ca, on ne le saura jamais ! Mais, Jean-Claude, qui passait par-là avait entendu ses cris, et puis il était parvenu en lui tendant une grosse branche, à la ramener vers la rive et la sortir de l’eau.

Inutile de vous le préciser, mais je le fais quand-même, qu’il y a toujours et qu’il y aura toujours un canon à boire pour Jean-Claude chez les Viguier, qui sont des gens reconnaissants !

Tous les matins, à dix heures, il débarque donc au petit bistrot de l’Escale en haut de la cote du Paradis. C’est bien simple, il ne viendrait pas, il serait en retard qu’on serait vite inquiets !

Je ne voudrais pas en faire trop non plus à ce propos, mais, on dirait :

« Tiens ! Jean-Claude est pas encore là ! »

« Vous avez pas vu Jean-Claude ? »

« Oh ! Il va pas tarder ! »

Ou plus justement, il ne devrait pas tarder !

10 heures. Il déboule comme un seul homme, il prend ses deux blancs, parce qu’on ne marche pas sur une seule patte, il prend des nouvelles des environs, et puis un paquet de blondes sans filtre. J’sais pas comment il fait ? Un petit billet, un ticket de loterie, et puis, il salue la compagnie. Alors, on répond :

« A plus Jean-Claude ! Bonne journée ! A la tienne ! »

Des propos humains ! Quoi !

« A tout à l’heure pour l’apéro ! »

« Et bon courage ! »

Ah ! Non ! Bon courage, c’est pas une expression qu’on peut lancer à Jean-Claude ! Cela pourrait être perçu comme de l’ironie mal placée ! Ca pourrait même faire des histoires, et donc, des mécontents ! Et c’est pas notre volonté, c’est pas notre genre ! Non ! On peut pas dire bon courage à Jean-Claude ! Jamais ! Tiens, j’vous explique, puisque vous ne le savez pas et parce que vous êtes bien gentils !

« Quel âge il a au juste le Jean-Claude ? Dans les 35 ? »

« Oh ! Plutôt 40 ! » Qu’il annonce Gilbert Dumont ! Vu qu’il précise qu’ils ont été en classe ensemble ! Ah ! Oui ! Gilbert Dumont, il a beaucoup redoublé !

Allez ! 35 ans ! Par-là ! On va pas en faire un fromage de toute façon ! Ses parents tenaient la boutique « Mode de Paris » sur le boulevard Afrique Simone. « Mode de Paris » : Beau magasin ! Un beau bouclard ! Pas du prêt-à-porter ! Que de la confection ! Du sur-mesure pour les mariages et les communions solennelles!

Pensez bien que dans les années terribles de la cohabitation, lorsque le SuperInterHyper, Stop U, le Bazarouille et le couloir aux fringues ont ouvert leurs portes dans la zone commerciale, ça leur à fait beaucoup, beaucoup, beaucoup de tort aux parents du Jean-Claude !

Y-z-ont bien essayé de tenir durant un moment ! Surtout durant les quinzaines du blanc ! Puis, ils ont essayé de se reconvertir ! Dans les santons de Provence ! Mais, ils n’avaient plus le gout au commerce de proximité et de qualité.

Quand on commence à mépriser la clientèle qui achète n’importe-quoi à pas cher, mieux vaut partir la tête haute !

« Mode de Paris » aujourd’hui, c’est un kébab ! Ca ne désemplit pas ! Mais, c’est plus eux qui tiennent, bien évidemment !

Y-z-ont pas bien vendu « Mode de Paris » Non ! A perte ! A perte ! Qu’y disait le père de Jean-Claude !

Le père à Jean-Claude ! Il expliquait ça, il nous expliquait cela durant les quelques mois où il est venu se suicider au comptoir de l’Escale. C’est triste d’un sens ! Même s’il payait ses tournées à la généreuse ! Au fur et à mesure qu’il pratiquait la sculpture physique, aux spiritueux, élixir des goitreux et labrador-mimosa, oups ! Jamais plus haut que le bord ! Il perdait doucement mais surement de sa superbe.

Quand il avait le magasin, et que pour être beau pour les baptêmes comme pour les obsèques, il vous prenait les mesures. Celles des épaules, de l’entrejambe, on lui donnait du ‘Monsieur Jacques’ long comme le bras.

A l’Escale, il se contentait qu’on l’appelle Jacquot !

parents

Son épouse, la mère de Jean-Claude, elle, une autre affaire !

En dépression ! Comme dit le caporal des pompiers du coin :

« Ils ont pas fait long-feu les parents Pilorget ! »

Le Jean-Claude s’est retrouvé très jeune a la tête de ce que beaucoup ont considéré comme une belle cagnotte, sauf ceux qui jouent au loto, et qui rêvent du gros lot et qui méprisent les autres ! Qu’importe, puisqu’il a tout flambé en quelques semaines !

L’héritage ? Traduit en :

Voiture de sport

Moto

Scooter des mers pour faire le con sur le Souilly

Fringues de marques

La compilation spéciale avec bonus et inédits de toutes les œuvres poétiques et engagées de Frédéric François

Ouais ! L’héritage a pas fait long-feu !

Quand il ne lui est plus rien resté, quand il ne lui restait définitivement plus rien, avec une ardoise ministérielle au Roule-roule, le night-club où il faisait le malin, une autre ardoise au petit bar de l’Escale, en haut de la cote du Paradis où il n’avait pas intérêt à la ramener, quand il s’est retrouvé ‘Grosjean par devant’ comme disait mémé Ursule qu’était une bonne nature,

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il a épousé la petite Yvonne Poilbout,

mariage

dont les parents, Jojo, le père qui était un joyeux drille,

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toujours en espadrilles, et la mère Suzette, qui riait tout le temps et qu’était jamais la dernière à dire des conneries !

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Ouais, les parents, disais-je, eux, ils tenaient la boulangerie, rue Jacques Crozemarie ! Après les deux drôles que Jean-Claude et Yvonne ont eu, deux enfants, le premier, Steve, quatre mois après le mariage, un beau bébé, et la petite Vanessa que tout le monde appelle Gislaine. Je sais pas pourquoi ?

Après qu’ils aient eu ces deux enfants, les parents Poilbout ont passé la boutique à leur fille et à leur gendre. Leur gendre qu’était en apprentissage à quart-temps depuis déjà un moment.

C’est vrai que quand t’es beau-père, tu veux le bonheur des enfants ! Alors, tu donnes du mou dans tes exigences ! Et puis, si t’as un gendre, et ben, t’essaye de t’en faire un copain.

Il peut arriver à des pas d’heures, se contenter de manier la belle-mère en dilettante.

La belle-mère, c’est l’instrument muni de pics pour aérer la pâte à tarte. Pas confondre avec un bicyclette, ou avec une bite à curé ! C’est le cornet pointu en métal pour percer et garnir en pâte à chou les religieuses ! Ouais, il lui pardonnait beaucoup de choses au mari de sa fille le père Poilbout !

Il avait épousé la petite Yvonne Poilbout, qu’était de moins en moins petite, deux enfants, et il turbinait, un peu, chez le beau-père dans la boulangerie-pâtisserie.

Le beau-père, y nous racontait ça au petit bar de l’Escale ! Que son gendre, il était pas vraiment à son affaire dans la boulange !

« Rien qu’un Boulard inapte à la pâtisserie ! Y faisait toujours bronzer sa camelote jusqu’à fabriquer de l’Amin Dada !

four

   Y s’essayait aux chibrasses, ça valait peau de balle ! Même ses drôles n’en voulaient pas au dessert ! Ses culs de miches ? Ca valait pas un signe de croix ! Ses tartes ? Il avait beau les saupoudrer de couilles de singes, y faisait que de la gnole ! La farine manquait de plancher pour donner des fournées de savates, qui rougissaient… assez parlé métier ! »

Il suffisait d’être client, peut être sans doute comme vous, pauvres contribuables qui bouffez, parce que ça s’appelle pas manger ! De la baguette sans goût, demi-molle, rassise après six heures passées à la maison ! Du polystyrène expansé ! De la mie de pain homogénéisée à l’ammoniaque !

baguette

Ouais ! Tant qu’y aura des imbéciles comme nous pour s’en contenter, la profession tiendra, mais finira par crever. En profitant qu’y a des non-artisans, comme Jean-Claude, qu’a repris la boutique ! Lui, il est adepte des 18 heures par semaine ! Et au fournil, on l’entend grommeler qu’y va pas s’emmerder la vie pour ces cons-là !

Si y avait pas le sourire de Vanessa, pardon Gislaine, même pas Gislaine comme ça se prononce correctement, je crois bien qu’on aurait fait trois kilomètres de plus, comme chaque lundi, pour chercher et trouver le pain chez Edmond pâtisserie à Plourhinec-Kermaleur !

C’est le seul qui soit ouvert ! Edmond, qui bosse à l’ancienne ! Comme c’est dit dans la publicité où qu’ils sont pourtant que des menteurs ! Ah ! Chez Edmond pâtisserie :

bonne

Le goût du Pain

La mie aérée, avec des trous fleuris

bonne_3

Et la croute qui craque ! La croute un peu amère !

bonne_2

Ouais ! Y a plus beaucoup de gamins qui apprendront le goût du pain ! Ouais ! Le pain, chez Edmond pâtisserie, j’vais vous dire, c’est comme du gâteau ! Une petite noisette de beurre…

Ah ! La ! La ! La ! La ! Et pourtant, la baguette, chez Edmond, ça devrait être l’ordinaire de tout un chacun ! L’ordinaire !

Non ! La boulange, c’était pas fait pour lui ! Quand il a vu la caisse se remplir de moins en moins, et s’engueuler avec la sienne pour des riens, il a lâché la boulangerie pour faire les primeurs.

primeurs

Ouais ! Et puis, ça n’a pas marché non plus !

Alors, y s’est mis dans un autre commerce. A 60 mètres de là. Crémier.

fromagerie

Crémier avec la Lucienne. Lucienne Crémerie. Une qu’a une dizaine d’année de plus que lui, mais, qui, à ce qu’il semble, doit savoir y faire.

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D’ailleurs, on a été quelques-uns uns à pas lui jeter la pierre au Jean-Claude, qu’est pas le mauvais cheval !

jean_claude

Quand il a tout largué ! Famille, magasin, boutique ! Certes, il a fallu patienter quelques semaines pour se réapprovisionner en légumes, et puis, le pain, on allait à Plourhinec !

Mais, comme à Plourhinec c’est du bon, finalement, on n’a pas perdu au change !

Lui non plus avec la Lucienne ! Ouais ! Elle l’aime ! Dix ans de moins qu’elle! Elle le dorlote ! Elle supporterait pas qu’il manipule un cageot, des fois qu’il s’esquinterait les pognes, les mimines ! Comme un coq en pate ! En robe de chambre jusqu’à des pas d’heures, sinon en survêtement satiné avec des baskets comme des pantoufles.

Et puis, la gourmette ! Elle lui a fait faire aussi un tatoo tribal! Alors depuis, y s’met des débardeurs ! Elle l’entretient comme un bibelot ! Elle lui passe tout ! Elle lui a même acheté une Opel Kadett ! Avec l’aileron sur la malle arrière ! Les jantes alu ! Spoiler ! Néon de lumière noire sur la caisse !

« Ouais ! C’est une chaude ! »

chaude

C’est ce que dit l’Olivier, et il s’y connaît vu qu’il a fait taxi dans les années 80 !

La Lucienne, on a tous rêvé un jour ou l’autre d’être dans ses bras ! Enfin… un peu plus près ! J’vais pas vous faire un dessin en couleur !

Maintenant, elle arrive sur ses 40-45 ! Elle veut un enfant !

Voilà ! Vous savez tout ! Enfin… Pas tout puisque vous habitez pas avec nous ! Elle veut un enfant, mais, ici, on veut pas d’histoires ! Mais personne lui dira que le Jean-Claude a eu les oreillons à l’aube de l’adolescence. Ouais, il pourra pas lui en faire, pas comme a sa précédente !

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