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Dépèches du Tarn et Saone
28 octobre 2009

Elle est partie

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 21 octobre 2009 de Serge Le Vaillant)

 mariage

Elle est partie un matin sans prendre la peine de me laisser ne serait-ce qu’un petit mot sur la table de la cuisine. Pour m’écrire les choses que l’on dit toujours dans ces cas là :

 je_te_quitte

« Adieu ! Restons amis ! Je ne regrette rien ! Je ne te reproche rien ! Tu es un type formidable ! Tu resteras à jamais le plus grand amour de ma vie ! »

 

 J’aurais lu ces mots là en écoutant les infos dans le transistor et en buvant mon café-crème, et je me serais dit… Qu’elle avait bien raison ! Je suis un type formidable ! Et je lui ai donné toutes les raisons d’être le plus grand amour de sa vie !

 poulet

Trouver un mot pareil, trouver un mot de sa petite main sur la table de la cuisine, cela m’aurait sans nul doute aidé à mieux entamer la journée ! Elle est partie un matin, sans rien laisser derrière elle ! Sinon son odeur, son parfum ! Que j’avais en horreur, d’ailleurs, depuis plusieurs semaines ! Une odeur de fleur ! De vieille fleur séchée, un peu moisie ! Oui ! Une vieille fleur que l’on aurait mouillée et qui aurait pourri !  Combien de fois je le lui ai expliqué en maugréant ? En pestant dans la salle de bains en jetant au loin un oreiller qu’elle avait pollué ! Elle est partie pendant que je dormais ! Cette sournoise faux derche, faux cul a fait ses valises ! Récupéré son vieux nounours, sa vieille peluche d’enfance dont elle n’arrive pas à se débarrasser, ni la peluche ni l’enfance ! Hé ! Hé ! Elle a ramassé ses bibelots, remarquez, c’est tant mieux ! Ses caches poussières, ses objets à l’aspect décoratif plus que douteux… Seul problème, elle a pris la télé ! La télé alors que c’est bibi qui l’avait payée !

 

Oui ! C’est moi qui avais payé la télé ! Bon ! D’accord ! C’était à l’occasion de son anniversaire ! C’était un cadeau ! Ce qui est donné est donné, mais tout de même ! Dans certaines conditions, dans des conditions pareilles, lorsqu’on se sépare, que dis-je ? Lorsqu’on me quitte aussi sournoisement, on essaye de se montrer plus digne ! Que voulez-vous que je vous dise ? Que je suis déçu ? Très déçu par son attitude ? Et très embêté, très ennuyé parce que ce soir y a match de foot et que si je n’achète pas un nouveau poste, et ben ! Je suis marron ! Ah ! La vache ! Sur et certain qu’elle s’est fait aider pour transporter tout le matériel ! Savoir qui a été son complice ? Elle est partie, un matin ! Presque sans prévenir ! A part une vingtaine d’engueulades sévères, sérieuses, trois tentatives de suicide et une paire de claques ! Oui ! Oui ! Des claques ! Je sais qu’elle prétend qu’il s’agissait de coups de poings ! Bon… De toute façon, elle est partie ! Et forcément, elle laisse un grand vide malgré son odeur épouvantable qui flotte toujours dans l’air !

 

Le grand philosophe attaché aux choses du cœur que fut ma mémé Ursule, qui était une bonne nature, toujours le sourire aux lèvres, ma mémé Ursule disait toujours : « Une de perdue, dix de retrouvées ! » Elle disait ça, elle qui n’a eu qu’un mari durant toute sa vie, passée à éplucher des patates afin de nourrir ce mari en question…

 

Dès qu’elle s’est barrée, je parle de Caroline, bien sûr, pas de ma grand-mère Ursule, qui, par bonheur, vit toujours ! C’est à dire qu’elle continue d’éplucher des patates ! Dès qu’elle est partie, Caroline, pour vous dire toute la vérité, je me suis senti soulagé !

lit

Ah ! Oui ! Trahi ! Oui, mais soulagé ! Après le combat de boxe marathon, trente rounds chaque soir, j’allais de nouveau pouvoir vivre à ma guise dans la sérénité en attendant les dix créatures plus sublimes les unes que les autres qui allaient suivre ainsi que le promettait le proverbe ! Avez moi hélas, sérénité n’est pas synonyme de zen et de calme ! C’est fou ! Non… Mais ! C’est fou ce que ça peut abattre comme boulot une bonne femme, sans qu’on s’en aperçoive vraiment ! Lorsqu’on considère le monceau de vaisselle que constituent quatre repas de suite sans laver les assiettes ni les casseroles, n’évoquons pas le linge ou plus simplement l’entretien d’un appartement ! Lorsque à la tombée du cinquième soir après son départ, je me suis surpris devant la télévision, toute neuve, en train de manger une choucroute à même la boite, et avec les mains, faut de réunir suffisamment de courage et de volonté pour laver une fourchette ou une assiette, je me suis dit que les choses avaient changées !

 limo

Ne parlons pas des cendriers débordant d’immondices, la table du salon jonchée de bouteilles vides, de cannettes, de pots de yaourts… Le lit en vrac ! La salle de bain devenue capharnaüm ! Bon ! Allez ! Faut pas se laisser aller ! Le lendemain, je me mets en pétard contre moi-même, en fouillant dans la penderie, plus un slip neuf ! Plus un slip propre ! Plus un slip sec ! Pas même une chemise repassée ! Hu! Hu !Hu ! Un fantasme ! Plus que trois paires de chaussettes, dépareillées, et après, ce sera le néant ! Ah ! Oui ! Là, soudain, j’ai pris peur ! Je dois me ressaisir ! Je dois prouver à la face du monde que je suis un homme ! Un mec ! Un vrai !

waters

Qui en a ! Parfaitement ! Un homme ! Un vrai ! J’insiste sur le terme ! Parfaitement capable de prendre son destin en main, de vivre seul sans une bonne femme ! Non mais tout de même ! Si l’on n’y prend pas garde, on se retrouve rapidement ravalé au rang de bête ou de néandertalien ! Ouais ! J’étais sur la mauvaise pente ! Je l’avoue ! J’avais plutôt bien réagi par rapport au sale coup que m’avait fait Caroline, en ne me laissant pas aller aux langueurs inéluctables de tout chagrin d’amour ! Je ne m’étais pas suffisamment occupé de moi ! Je devais réagir absolument et de façon urgente ! Je le fis ! Je téléphonais à ma mère !

 

Voilà ! Depuis trois mois, tous les vendredis, maman vient nettoyer l’appartement ! Le chantier… Elle évoque toujours les écuries d’Augias quand elle m’en parle ! Et puis elle règle aussi les affaires courantes ! Les factures, la paperasserie, hé ! Hé ! La déclaration des impôts ! Ainsi, le week-end, je peux recevoir chez moi des gens sans avoir à rougir de mon laisser-aller ! En trois mois, je n’ai pourtant jamais eu l’occasion de recevoir les dix sublimes créatures promises par le dicton de mon aïeule Ursule !

et_les_10_autres

Ouais… Enfin, ça commence à bien faire ! Et je suis pas le seul à le penser ni à le dire ! Ahhhh ! Ben j’y ai droit à chaque vendredi ! Toujours la même chanson !

 

Mais, tous les week-ends, je retrouve Victor ! Totor !

totor

L’ainé de chez les Boulard ! De Massy-Palaiseau ! Totor, un copain d’enfance qui vient de se faire larguer, lui aussi, pour on ne sait quelle obscure raison ! Non ! Mais les bonnes femmes, par les temps qui courent, je vous jure ! Non… Mais je vous jure ! Le Totor, il m’a rien caché ! Son histoire sentimentale, je la connais de long en large ! Et lui aussi je le connais ! Je sais bien que c’est pas un menteur ! Et pas méchant pour deux sous ! S’il lui est arrivé de lui taper dessus à sienne, c’était sans arrière-pensées ! Elle aurait mis ça sur le compte de l’alcool si elle avait compris, admis qu’à chaque fois, il n’était pas dans son état normal ! Ben tiens ! Hé ! Si ça se trouve, y seraient encore ensemble ! Parfaitement heureux ! Mais les gonzesses comprendront jamais rien à rien !

 

Les gonzesses, leurs travers, leurs défauts, c’est ce qu’on se répète entre de bons vieux adages bien sentis sur le sujet, et en trinquant, Totor et moi. Ca nous évite de broyer du noir ! Lorsque le programme télé est par trop sinistre ! De temps en temps, Totor est resté dormir, en mon appartement, je l’y ai encouragé ! Inconsciemment, j’avais besoin d’une présence ! Je le reconnais volontiers aujourd’hui ! La vie, l’amitié, tout cela n’a de sens que dans le partage ! Se retrouver dans la joie comme dans les emmerdes, surtout dans les emmerdes. Et puis, des choses, les choses se sont précipitées ! Totor s’est fait virer de son appartement pour des raisons qui ne regardent que lui ! J’ai pas à étaler sur une chaine nationale et qui préoccupait énormément son logeur depuis des mois, à ces gens-là, les logeurs, étrangement ils sont intéressés que par le pognon ! Allez leur parler de la vie, de la qualité de la vie, de l’amitié, du sens du partage ! Tout ce qui ne concerne pas le fric, ils sont hermétiques ! Maman rallait un peu plus, le vendredi, à cause du surcroît de travail, mais, quand même, il m’était difficile, voire impossible… Non ! Impossible de ne pas proposer à Totor de l’abriter en attendant qu’il trouve une autre solution !

 

Serviable, service-service… Ouais ! Mais ! Eh ! Ca fait deux maintenant qu’il squatte mon appart l’autre enfoiré ! Parce que la solution… Il l’a toujours pas trouvée ! Des semaines qu’on ne se parle plus, sinon par grognements, par aboiements ! C’est encore pire qu’avec Caroline !

 kangourou

Caroline ! Mon amour ! Hein ! Caroline ! Je l’ai rencontrée par hasard il y a quelques jours ! Elle était ravie de me revoir ! Et moi donc ! Nous étions à deux pas de chez moi ! Anciennement de chez nous ! Et pourtant, impossible de l’inviter à visiter notre ex-nid d’amour ! Parce que je savais que l’autre porc devait être affalé en slip sur le canapé devant la télé dans un bordel que maman refuse depuis quelques temps de réorganiser ! Non ! Je l’ai pas invitée ! Alors, Caroline a du penser que j’habitais avec une autre, que j’abritais une nouvelle femme ! Elle avait promis de me téléphoner, elle l’a pas fait !

douche

Hé ! Hé ! Totor…

 

Totor tu pues ! C’est fou comme un mec peut se laisser aller ! Ah ! Je vous raconte pas l’odeur, ni la vue ! Ah ! Ben c’est agréable de prendre son repas avec ça, devant ça ! Et puisque, je vais quand même vous dire la vérité, c’est agréable de dormir avec ça ! Car Monsieur a défoncé le canapé ! Et il juge qu’il ne peut plus dormir dessus ! Il m’a rejoint dans le lit ! Les ronflements ! Les prouts ! Ah ! J’ai droit à tout ! Rien ne m’est épargné ! Non mais qu’est ce que ça peut être moche un mec ! J’vous jure ! J’s’rais une femme, ah… Je sais pas comment je ferais mais… Ca, je le ferais pas !

 

Et Caroline qui ne me téléphone pas !

 

Lundi 28 Mai ! Date à marquer d’une pierre blanche, Totor va partir ! Totor fout le camp ! Y fout le camp ! Alors maman va pouvoir revenir ! Et Caroline aussi peut-être ? Totor, dès qu’il a refermé la porte derrière lui, j’ai fait le ménage en grand ! J’ai désodorisé, désinfecté, j’ai purifié ! Avant qu’il ne parte, dernière engueulade ! Ah ! Je lui lâche tout ! Le fiel retenu, contenu ! Au matin, un petit mot sur la table de la cuisine :

 

« Mon Alain, tu m’as déçu ! L’amitié, je croyais que c’était le partage ! Je pensais que tu étais un frère ! »

 

Y m’écrit ça c’t’enfoiré ! Vas te faire voir ailleurs Totor ! Vas te faire voir ! Chez les papous ! T’auras des enfants à plumes ! Et vas te faire téter les yeux par l’intérieur ! Hé ! Hé ! Totor, ton amitié, j’en ai soupé !

 

C’est le week-end ! Je revis ! Comme une bonne petite ménagère, je frotte mon logis comme un sou neuf ! Je récure, je gratte, j’hume l’air à la recherche des parfums de Caroline ! Une femme ! Y a rien du plus merveilleux sur la terre qu’une femme ! L’odeur de Caroline, je la déniche dans une boite à chaussures au fond d’une penderie. Une boite où j’ai conservé de précieuses reliques ! Quelques affaires, quelques dessous qu’elle a oublié, mais qu’elle retrouvera avec émotion lorsqu’elle reviendra ! Une femme ! Ca commence à me manquer ! Alors, je me déshabille, j’enfile la culotte de Caroline.

en_bas

Je passe ses socquettes blanches, j’agrafe son soutien-gorge, je me poudre, je me rouge-à-lèvrise, je me contemple devant le miroir de la salle de bain.

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C’est dans le miroir que j’ai aperçu Totor, qui était revenu sournoisement cherche quelque affaire ! J’me suis pas retourné ! J’l’ai entendu qui me disait :

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«  Ah ! Ben mon Alain, tu me déçois ! Quand je pense qu’on a dormi ensemble ! Quand je vais raconter ça aux copains !  Et à Caroline ! »

 

 

 

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