Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dépèches du Tarn et Saone
4 août 2009

Lucien Poilbout en visite chez maman

 

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 25 Juin 09 de Serge Le Vaillant)

Il profite du pont du 8 Mai pour revenir au pays. Une fois par an vu que sa mère se prénomme Gisèle.

Gisèle Poilbout !

grand_m_re

Mais si, vous savez bien ! La p’tite maison fleurie à coté de l’ancien terrain de Football ! Ouais ! C’est ça ! Exactement ! Derrière les deux wagons à bestiaux qui servaient autrefois de vestiaires !

wagon

Je dis autrefois… c’est pas si vieux… Enfin… tout est relatif à ce qui paraît !

 

Pour les fêtes solennelles, Noël, la Toussaint, la foire aux racloutes, la Saint Hypocrite, le premier Mai, les grandes vacances et celles d’hiver, les congés maladie, il va au « club » à ce qu’il nous explique en faisant des moulinets de bras comme un exalté. Mais, pour la Saint Gisèle, il est fidèle.

 

Il manquerait ça pour rien au monde ! Lui, c’est donc le fils, Lucien Poilbout, cinquante années et quelques. Quand, pour la moyenne corrigée selon l’indexation des valeurs saisonnières, il est plutôt grand pour sa taille !

lucien

Ma femme dit que c’est un bel homme, alors qu’on lui demande rien ! Et même si elle est plus apte à juger en ce domaine, nous voilà bien avancés !

 

Tous les deux ans, il arrive avec une voiture neuve, style garçon coiffeur ou réalisateur de radio de nuit ! Vous voyez le genre : Petite, nerveuse, que les flics aiment bien aligner, manière d’essayer d’éponger quelques déficits budgétaires parallèles ! Tous les deux ans, il arrive au pays avec une nouvelle bagnole. Et tous les ans avec une nouvelle fille ou, comme il dit, une fiancée.

la_belle

Avant de se rendre chez sa mère, Gisèle Poilbout, qui demeure donc dans la petite maison fleurie derrière les vieux wagons de bois, Lucien, Lulu comme de juste, se gare sur la place d’Issougny-les-Crémones en faisant rugir le moteur. Ici, on dit faire gueuler le moulin. Une fois garé, il va chez Michou traiteur acheter de la racloute, et de la salade de museau de chien sauvage, à la vinaigrette, parce qu’il sait vivre, et qu’il ne veut pas arriver chez sa mère les mains vides. Idem, il va chez René Pâtisserie-Boulangerie, et parce qu’il est un bon fils, il prend un pot de Chrysanthèmes chez Mireille Fleurs. Enfin, il passe une tête dans le salon de Paulette Coiffure, avec qui il est de parenté de la main droite.

paulette_coiffure

Ainsi, une demi-heure plus tard, tout le pays est au parfum de sa présence.

 

Bien sûr, sa mère, la Gisèle, est sur le pied de guerre depuis une semaine ! Les racloutes et le museau pourront être dégustés en apéro, mais sans plus. Manière de faire découvrir les spécialités locales à la fiancée ! Parce que pour le robuste, le roboratif, le consistant pour reprendre des forces, et faire quelque peu tomber les vapes procurées par l’apéro précité, elle a prévu la Gisèle ! Ainsi qu’elle va le répéter toute l’après-midi, et durant toute la soirée, en slalomant entre les piquets des reproches et des regrets :

 

- « C’est pas si souvent qu’elle a son fiston à la maison ! »

 

Elle peut bien mettre les petits plats dans les grands ! S’affairer jusqu’à l’épuisement. Contenir bien des émotions et recevoir la fiancée comme une princesse. Après le repas, pendant que la mère débarrasse et fait la vaisselle, Lulu et sa copine Bébé, sa fiancée, Lulu et sa copine vont faire une sieste, manière, explique-t-il de récupérer des 300 kilomètres qu’il a dans les reins…

 

Vingt minutes plus tard, il est devant le petit bar de l’Escale en haut de la côte du Paradis, à faire rugir sa voiture, qui est, une fois tous les deux ans, une voiture neuve.

voiture_neuve

Y a déjà un labrador mimosa sur le comptoir dès qu’il entre !

labrador_mimosa

C’est pas qu’il soit particulièrement snob l’artiste, mais Lucien n’est pas du genre à carburer à l’étoilé ! Oui, c’est sûr, c’est sûr que lorsqu’on est dans la conchyliculture à Massy-Palaiseau, on peut se permettre ! Jusqu’à 17h, il la joue sportive et locale, debout au comptoir, pour, comme il dit, dissoudre les graisses absorbées lors du repas de midi. A partir de 17h, la tension monte, car les gars arrivent,

arrivee_au_bar

qui des champs, qui des abattoirs, qui de chez la belle-mère, et c’est l’heure de bien des retrouvailles au cours desquelles on évoque :

 

- Les disparus de l’année

- Les calamités agraires

- Les naissances

- Les fiançailles

- Les vaudevilles ruraux

- Le climat, qui se refroidit et qui s’humidifie inexorablement !

- Les résultats sportifs des équipes cadettes, juniors, seniors et vétérans

- L’actualité revue et corrigée

- La santé, ou la mauvaise santé des uns et des autres qui, bon gré mal gré se maintienne puisqu’il y a toujours plus malheureux que soit, et qu’il faut pas se plaindre !

- On évoque cette engeance de chiens sauvages qui viennent de l’aire d’autoroute chaque début d’été, on a jamais trop su pourquoi, ni comment !

- Oui ! On raconte des histoires de chasse, de pêche, de cueillette de champignons, et puis, des souvenirs plus anciens !

 

Des souvenirs qui, à force d’être racontés, rabâchés, servis avec des couleurs et des émotions de plus en plus fortes, des souvenirs qui commencent à devenir communs, s’ils ne l’étaient pas déjà !

 

- « Ah ! Tu te souviens quand… ? »

- « Et le père ? Oh ! La crise !!! »

- « Oui ! Derrière l’église ! Gros comme ça ! J’te jure !!! »

- « A la chevrotine, comme j’te l’dis ! Ma main à couper ! »

- « Tu nous remets ça ? Vite fait ! La dernière alors ! »

- « Non ! C’est pour moi ! »

- « Et comment va ? »

- « Ah ? T’as pas su ??? »

- « Mais, t’as combien de chevaux sous le…capot? »

- « Deux vaches ? Ah ! C’est triste quand ça arrive, mais… bon… la dernière, alors ? »

- « Ah ! Oui ! C’est sûr ! Et sinon ? Ici ? Rien ! Pas plus ! »

- « Ah ! Si ! La grange de la mère… »

- « Oui, mais, alors, vite fait alors ! »

- « Comment ça ? Comment ça que tu ponds pas de monnaie ? »

- « Allez ! A la tienne Etienne ! »

- « Et Marco, pourquoi tu dis rien Marco ? »

- « La fille Rebut ? Ah ! Non ! J’avais pas su ! »

- « Bon, alors celle là, c’est la mienne ! »

 

Vers les 19h30, Surprise ! Voilà-t-y-pas que la fiancée arrive au petit bar de l’Escale. Elle entre, à pas timides. N’importe-qui d’autre, j’veux dire, tout homme normalement constitué et droit dans ses bottes, n’importe-qui d’autre se ferait rappeler ainsi à l’ordre. N’importe-qui ferait du pétard.

 

Mais ! Pas Lucien ! Au contraire ! Il sourie, il présente, il montre, il la fait tourner sur elle-même afin que la compagnie apprécie en relief ! Quand je dis il présente, le prénom suffit ! Et puis, il lance quelques clins d’œil à peine à la dérobée !

 

- « Bon, alors la dernière hein ! Vite fait ! Et toi, qu’est ce que tu prends Bébé ? »

 

Bébé… Il les appelle toutes « Bébé ». Ainsi, il ne risque pas de commettre d’impairs ! D’une voix trainante, Bébé explique qu’elle a eu une après-midi passionnante. En bikini, allongée sur une serviette de toilette trop petite au fond du jardin potager, elle a essayé de bronzer. Ou alors, parce qu’il pleuvait, elle a regardé la télévision, qui malheureusement ne reçoit que 4 chaines et pas des meilleures ! Ou, que par soucis d’oxygénation, elle a fait une grande marche, jusqu’aux abattoirs, où elle a vu des meuh-meuh !

la_belle

Des meuh-meuh ! Personne au comptoir ne rectifie. Tout le monde trouve ça très mignon ! Et mieux encore : Charmant ! On la regarde siroter son mimosa sans trop de labrador, parce qu’elle veut pas avoir la tête qui tourne ! Tout le monde fait silence. Les moins hardis s’extasient silencieusement en observant la manière délicate qu’elle a pour tourner sa boisson avec sa paille rouge. On sent… On sent bien qu’elle n’ira pas au bout de son verre ! D’autant que c’est Gisèle qui l’a envoyée là pour chercher Lucien, pour qu’il soit pas trop en retard pour le diner !

 

C’est ce qu’elle a expliqué, Bébé, en aspirant les mots et en omettant de signaler que madame Poilbout lui a aussi glissé que le petit bar de l’Escale, c’est pas bon pour la santé de Lulu! Avec les problèmes qu’il a eu il y a quelques années, c’est sûr, que lorsqu’on est sujet aux hémorroïdes, faut pas boire trop riche, ni trop gras !

 

Une heure et quart plus tard, le diner englouti, Lucien est de retour au petit bar de l’Escale. A peine entré, y a déjà un Labrador Mimosa qu’était à chambrer sur le comptoir, sûrs qu’on était de son retour ! Avant ça, avant qu’il n’arrive, on ne s’était pas privé de commentaires sur Bébé, la fiancée ! Ah! Bah! C’est fait pour ça! C’est-y-pas-vrai ?

 

Maintenant que Lulu est revenu, on va passer la vitesse supérieure ! Mais en termes moins grossiers ! On sait se tenir ! On sait vivre ! Pour sûr qu’on l’a trouvée bien sympathique ! Au moins du 95D ! Et pas frileuse ! Bien gentille ! Avenante ! Et malgré tout, bien polie ! Ah ! Oui ! Ca, on peut pas dire le contraire !

 

Lulu… Entendant çà, Lulu biche ! Lulu boit du p’tit lait, même si y en a pas dans la recette officielle du Labrador Mimosa ! Il est revenu pour ça ! Pour cueillir, pour recueillir, pour récolter, comme autant de trophées les commentaires et autres éloges sur sa dernière conquête !

 

- « Ah ! On n’en voit pas beaucoup des comme-ça, des paroissiennes pareilles au pays ! Sacré veinard va ! »

 

Et de se lamenter de ce qu’on a à la maison ! Ah ! Que des gueuleuses, des gueulardes, des râleuses, des qui ont la tête de certaines qui disent : « C’est à c’t’heure là que tu rentres ? » Des pincées, des acariâtres, des amères, des qui sont plus ce qu’elles ont été, qu’on jamais eu que les aisselles pour zone érogène !

 

Et de rire ! Entre hommes ! Toutes dents négligées dehors, quand il en manque pas certaines… Chicots caramélisés, tronches mal dessinées. Pour un peu, ils chanteraient en se secouant le bide : « Avoir un bon copain ! »

 

Y a que l’Olivier, le patron qui dit pas grand-chose.

l_olivier

Tout ça, ça ne l’émerveille pas, ça ne l’épate point, vu que dans les années 80 il était ambulancier, et qu’il a fait, comme il dit, dans le porno durant les seventies. Et puis, il est jamais bon que le patron se mêle des conversations de la clientèle à ce niveau-là.

 

Lucien rentre le lendemain sur Massy-Palaiseau, après avoir fait un crochet par Paris, qu’est pas loin à ce qu’y paraît. Il passe à Paris pour y déposer Bébé, après lui avoir réglé ce qu’ils avaient convenu pour le week-end. Et puis, il rentre au bercail, retrouver Solange, avec qui il vit depuis longtemps déjà, sans l’avoir encore présentée à sa mère.

lucien_et_solange

Sa mère qu’il retournera voir dans un an, pour la sainte Gisèle, effectivement, et aussi pour raconter des conneries, en forme de merveilles, aux copains.

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité