20 janvier 2009
Les 50 ans de Jean-Paul Boulard
(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 20 janvier 09 de Serge Le Vaillant)
Il me téléphone. Vingt-deux ans ! Vingt-deux ans que je n’avais plus eu de nouvelles, et sincèrement, je ne m’en portais pas plus mal ! Je vous parle bien sûr, et comme de juste, de Jean-Paul Boulard ! Oui ! Cui-la dont les parents demeuraient dans le pavillon neuf à la sortie de Boursault-neuf-Moutiers !
A main gauche comme d’entendu ! Oui ! Oui ! C’est ça ! Jean-Paul Boulard ! Cui-là dont la mère avait une mobylette orange !
Hé ! Fallait me le dire tout de suite que vous le connaissiez ! Mais, moi, pour ma part, en ce qui me concerne moi-même personnellement, vingt-deux ans sans nouvelles ! Pas même les bons vœux pour les nouvelles années !
Il me téléphone vers les 22h ! Ah ! Mais, y a des gens qui n’ont pas été éduqués ! Seulement nourris ! Pas étonnant remarquez de la part d’un gars de Boursault-neuf-Moutiers ! J’sais pas si vous le saviez, mais, ses parents étaient communistes !
C’est pour ça d’ailleurs qu’ils l’ont mis en pension religieuse au collège Saint-Hypocrite du Chatelet-sur-Souilly ! Moi, j’allais au lycée Maurice Thorez, à Bazoges-sur-Surches ! Bref, on était pas ensemble ! On se voyait pas, on était pas amis, pas même copains, c’est plus tard, qu’on s’est trouvé, enfin… croisé de temps en temps, à des soirées chez des connaissances communes, genre surprise-partie, surpat’ , surboum dans les garages, avec des guirlandes de crépon et l’établi en guise de buffet !
Et alors là, tenez-vous bien, il m’a tout de suite eu à la bonne ! Comme qui dirait que je lui ai plu ! A travers les conversations, il a estimé que je pensais comme lui, qu’on était de la même trempe, j’ai du également lui tenir la tête, pour l’aider à vomir.
Il en a pas fallu d’avantage pour qu’il décrète que j’étais son ami ! Et j’me suis retrouvé encore un peu plus tard garçon d’honneur ! Garçon d’honneur à son mariage ! Ah ! Non, mais la vie, c’est comme un ouragan !
Son ami ! Et alors du « René » grand comme le bras ! Je me prénomme René, pour vous servir ! Lui, c’est Jean-Paul Boulard ! J’sais pas moi ! Ou plutôt, si ! Je sais ! J’en ai des amis ! Des vrais ! Et des copains aussi ! Mais, pas Jean-Paul ! Désolé ! Il ne suffit pas de se croiser dans quatre ou cinq boums, de faire la quête à l’église et de vendre la jarretière de la mariée pour être amis !
Ah ! Oui, si, quand-même, une autre fois, je l’ai pris en stop parce que sa mobylette était en panne !
La belle affaire ! Ouais, on était pas dans la même bande !
Et puis lui, Jean-Paul, il était un peu sérieux ! Il voulait devenir instituteur, il l’est d’ailleurs devenu. Ah ! C’est vrai ! Un instit’, ça peut pas déconner ! Surtout depuis que Gérard Klein a donné l’exemple ! Jean-Paul, c’est pas à Gérard Klein qu’il ressemble. C’est à Alain Barrière ! Ouais ! Y ressemblait à Alain Barrière !
Et ça lui valait un beau succès auprès des filles ! Ah ! Mais ! Il leur en faut pas plus aux filles ! Mais, je le redis, il était sérieux ! Vous voyez, pas dragueur, coureur, cavaleur, du genre j’suis avec une seule, tant que ça va bien avec elle, je regarde pas ailleurs !
Il s’est marié très jeune Jean-Paul. 22 ans, par-là. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pu faire le garçon d’honneur ! Ah ! Je suis désolé, par les temps qui courent on supporte bien des choses, on peut et on veut bien être coulant, diplomate, compréhensif, mais y a quand même des choses sacrées ! Un garçon d’honneur qui aurait passé les trente ans, c’est inadmissible ! Insupportable ! Y a des guerres qui se sont déclenchées pour moins que ça ! Et je le conçois ! Ah ! J’aurais pris les armes moi aussi !
Jean-Paul. Bon, y m’téléphone vers 22h ! Pourquoi j’ai décroché ? Ben, parce qu’à ces heures-là, on soupçonne l’affaire urgente, prioritaire ! Oh ! Dès que j’ai reconnu sa voix, il m’a pas fallu long pour comprendre qu’il était Schlass ! Et alors de nouveau du « René » grand comme la jambe ! Et tu t’souviens…, et tu te rappelles…Ah ! J’adore ça ! Vingt-deux ans que j’espérais qu’il m’ai oublié ! Parce que le coup de fil humide, larmoyant, nostalgique, il me l’avait déjà fait vingt-deux ans plus tôt ! C’était pour son divorce, le second je crois. Ouais, le premier mariage, ça n’avait guère tenu, le second pas plus ! Enfin… chacun son histoire !
Près d’une heure et demie qu’il m’a tenu l’oreille Jean-Paul Boulard ! De son coté, il devait s’en servir quelques-uns, avant de se les jeter derrière la cravate en mettant le moins possible à coté ! Le discours devenait pâteux. Et moi, je bouillais ! Je fulminais mais me contenais ! J’répondais :
- « Mmm mmm ! Mmm mmm ! »
Vous connaissez ! Ce moment où l’on sait que le moindre mot va relancer la machine ! Et que ça va repartir encore pour un quart d’heure !
- « Mmm mmm ! Mmm mmm ! »
On connaît tous ça ! Sauf les emmerdeurs, qui devraient comprendre, à ce simple signe, « mmm mmm ! » Qu’il faut abréger la discussion ! Une heure trente et des brouettes. Tout ça pour me dire quoi ? Ah ! Oui ! Pour m’inviter à ses cinquante ans ! Son anniversaire ! J’ai pas pu refuser ! Y m’a eu à l’usure !
Une semaine avant l’évènement, je reçois l’invitation officielle ! Une photocopie avec sa tête !
La tête à Jean-Paul Boulard, bientôt, très bientôt 50 ans ! Avant, il ressemblait à Alain Barrière, maintenant, c’est plutôt Henri Chapier ! Enfin… Me voilà prévenu ! Je saurais le reconnaître ! Et alors sous la photo une précision, l’adresse, l’heure, etc… mais une précision pour les cadeaux ! Mais, moi, j’avais pas prévu de lui offrir un cadeau ! Que peut-on offrir à un mec qu’on a pas vu depuis 22 ans ? J’avais imaginé venir avec une bouteille ! A l’ancienne ! Ce qui était déjà pas mal ! 22 ans ! Non ! Jean-Paul Boulard, prévoyant, recommande de s’adresser au magasin « Isabelle, Plaisir d’offrir - Listes de mariage » Ah ? Ca se fait maintenant des listes d’anniversaire ?
J’téléphone au magasin :
- « La liste de monsieur Boulard ? Mais oui, parfaitement ! Alors il reste la ménagère de couverts en argent, le service de 36 verres de cristal, le sucrier avec sa pince ! Ah ! Non, y a plus le sucrier ! »
- J’ai hasardé un : « Et la pince à sucre ? Vous avez encore la pince à sucre ? »
Ben voilà, c’était ce week-end ! 22 ans sans se voir ! Enfin… moi, je l’avais vu, depuis, en photocopie ! Y m’avait prévenu :
- « Y aura les copains d’autrefois ! »
Autrefois… ça fait un peu mal aux seins le mot autrefois ! Et puis y aurait qui ? J’aurais envie de revoir qui ? Celles et ceux que j’avais eu envie de revoir, je les avais revus au cours des dernières années, et si on s’était pas revu, c’est qu’il y avait de bonnes raisons ! Sinon des cons ! Ca m’a travaillé un moment ! C’était qui ses potes à Jean-Paul Boulard autrefois ? Ah ! Oui ! Dédé Gandon ! Ah ! Oui ! Y trainait pas mal avec Dédé, au Maryland, à passer des après-midi à jouer au flipper ! Quoi d’autre ? Se revoir après toutes ces années pour évoquer le bon vieux temps, les parties gagnées, perdues, les fourchettes, les tilts, elle est pas belle vie ? Et pourquoi y se pointerait Dédé Gandon qui vit, aux dernières nouvelles à Massy-Palaiseau à attendre la retraite? Revenir en Tarn-et-Saône pour l’anniversaire de Jean-Paul ? Il y reviendra même pas, peut-être, pour sa retraite, Dédé Gandon ! C’est vrai qu’en zone pavillonnaire, en banlieue, on prend ses habitudes, on a ses commodités qu’on veut pas perdre !
Y aura qui d’autre à l’anniversaire de Jean-Paul Boulard ? Des filles ? Ah ! Il avait une cousine ! Ouais ! Bernadette !
Nadette Viguier, une petite rousse ! Enfin… la petite, elle a comme nous cinquante balais ! Faut voir ! De toute façon, il a prévenu le Jean-Paul ! C’est sans les conjoints ! Il l’a même rappelé sur l’invitation ! La photocopie !
Y a des mecs comme ça, ils se souviennent de tout ! Ils pensent à tout ! Et vous pouvez pas fuir, ils vous rattrapent toujours ! Et j’arrive dans une école, à Chambourre-les-Gonesse, c’est aux limites du Tarn-et Saône ! Oui, une école, il est instit’ ! Appartement de fonction. Je sais pas pour vous, comment pourrais-je savoir ? Mais, moi, en ce qui me concerne moi-même personnellement, cela me procure toujours une curieuse sensation d’entrer dans une école. Parce que c’était dinatoire son invitation, je me suis pointé vers 19h30. On sait vivre ! Y avait déjà de la musique ! Boney M ! C’était pas que dinatoire donc ! Ca allait guincher !
J’ai sonné ! Ecoutez, j’vais pas vous mentir ! Quand il m’a ouvert, j’ai été pris de vertiges ! 22 ans ! Y a des moments dans l’existence quand même, que voulez-vous, c’est quand-même beau des retrouvailles ! Quand même ! Le choc ! Parce que sur la photo de l’invitation, c’était une photo d’y a quelques années ainsi qu’il me l’a expliqué. Il avait 44 ans, et y portait une moumoute. Et puis il avait fait une allergie. Déjà, je regrettais pas d’être venu ! On a toujours eu, à la ville comme au téléphone des conversations passionnantes avec Jean-Paul Boulard!
Alors moi, en revanche, comme il me l’a expliqué, moi, j’avais pas changé ! J’avais rajeuni ! J’avais embelli ! Il me l’assurait, il me le jurait ! Et puis, il m’a appelé son vieux Fernand… et je n’ai pas eu le cœur de le décevoir ! Fernand ? J’savais absolument pas qui c’était !
Moi, René, j’ai été Fernand toute la soirée !
Y avait un buffet avec un saladier de Sangria. Des chips, des racloutes, de la macédoine de légumes,
du pâté de foie, des carottes râpées, des tranches de jambon astucieusement disposées en rouleau sur des feuilles de salade ! De la musique ! Ah! Ben ça, j’lai déjà dit! Ce n’était plus Boney M, mais Sheila avec B. Devotion.
Ce qui attestait que le programmateur avait du gout ! Sur un coin de la table, une rangée de spots colorés qui clignotaient, pas toujours en rythme, et voilà !
On était trois ! Jean-Paul, moi, enfin… Fernand ! Et un bon ami de Jean-Paul, Marcel, qui était et qui est sans doute encore le directeur de l’école ! Le patron de… Le patron à Jean-Paul quoi ! Mais un patron sympa ! Un autre instit’ ! « Tu me gardes mes drôles pendant que je vais faire mes commissions, oui ! Mais tu surveilleras la cantine,… »
On était trois ! On a été QUE TROIS ! La cousine rousse Nadette était passée dans l’après-midi déposer des nougats !
- « T’en veux un ? Tu te sers ! Vas-y ! Te gênes-pas ! T’es ici chez toi ! »
Dédé Gandon s’était fait excuser, mais il avait fait envoyer un sucrier… avec sa pince notoire ! Qu’est ce qu’il s’était passé, on ne le saura jamais, le sucrier s’était pété, avait cassé durant le transport ! On était trois, mais, Jean-Paul parlait pour tout le monde !
Après vingt minutes, j’ai repris mes « mmm mmm ! Mmm mmm ! » Mais, son copain le relançait à chaque fois ! La mayonnaise de la macédoine avait tourné. Vers les 23 heures, le copain Marcel est allé chercher sa guitare ! Y connaît tout le répertoire de Font et Val par cœur ! Après, il est passé à Graeme Allright, Jolie bouteille, on était trois, et il fallait chanter !
Jean-Paul énumérait les ceusse à qui il avait envoyé des invitations et qui n’avaient même pas eu la courtoisie de répondre ! Et surtout de venir pour ses cinquante balais !
- Gilbert Gatinais
- Maurice Gadan
- Vincent Pradal
J’écoutais la litanie, j’étais pas cité ! Ah ! Si ! C’est, ça lui est revenu !
- « Et cet enfoiré de René qu’est même pas venu ! »
René, grand comme le bras ! A un moment de forte émotion, Marcel a voulu chanter un truc de lui, spécialement composé pour Jean-Paul ! Ca s’appelait « Bon Anniversaire ! » C’était interminable ! Ca disait :
- « tandis que les cheveux blanchissent, que les dents jaunissent… »
C’était à se flinguer ! « Mmm mmm ! Mmm mmm ! » Il m’a libéré à une heure et quelques. Sur le pas de la porte, il m’a dit, l’œil allumé :
- « Hé ! On attend plus vingt-six ans pour s’revoir Fernand ! »
J’y ai pensé à Fernand sur le chemin du retour, qui avait eu la paix, quatre ans de plus que moi !
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