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Dépèches du Tarn et Saone
5 août 2010

Tisane à volonté à l'Escale le vendredi soir...

Retranscription du 24 Mars 2010 de Serge Le Vaillant

 

J’vous ai déjà dit qu’en haut de la côte du Paradis à Issougny-les-Crémones, y a petit bar qui s’appelle l’Escale ? Ouais ? Ouais ! Sûrement ! Sûrement ! J’ai déjà du vous parler de ça ! Ouais ! J’me souviens pas précisément où et quand mais… Oui ! Sûrement ! Et j’vous ai dit que le patron se prénommait l’Olivier ? Oui ! Exactement ! Cui-là qu’a été ambulancier dans les années 80 et qu’a fait dans le porno, comme y dit, durant les seventies ! Ah ! Ben ! J’vois que vous le connaissez ! Mais… Est-ce que je vous ai déjà expliqué qu’il fait également bar de nuit ? Ah ! Ah ! Ah ! Vous voyez que vous savez pas tout !

 

Bar de nuit ! Je sais pas s’il a la patente adéquate pour ça, et je ne veux pas le savoir ! Ca ne me regarde pas ! Notre bon maire, du temps où il était encore lucide, sain d’esprit, c'est-à-dire avant son accident de voiture… Notre bon maire ne l’ennuyait pas avec ça ! Il disait sagement :

 

« Hé ! Qu’est ce que je vais aller chercher des poux dans la tête à un type qui met de l’animation au pays ? »

 

Oui ! De l’animation, parce qu’il ne fait pas que bar de nuit ! Une fois par mois, à l’Escale, y a concert ! Et quand je dis concert, c’est du vrai concert ! Avec des vrais chanteurs, qu’ont de la voix et qui s’en servent pour dire des choses intéressantes ! Pas comme ces imbéciles qu’on voit gesticuler à la tv et qui font amis avec les gars de la politique ! Là, à l’Escale, on entend des choses, sur les trois caisses qui servent d’estrade, on entend des choses qui nous font poser des questions et qui font relever la tête aux français moyens et qui leur donnent parfois comme des idées de réflexion qui seront pas perdues pour tout le monde !

 

Qui on a vu à l’Escale dernièrement ? Ah ! Ben ! Albert Mozart ! Albert Mozart, un gros type, chevelu en abondance, un bon vivant, qui chantait torse-nu à la fin tellement il avait donné de lui-même, tellement il s’était donné ! Et Sylvain Gandon ! Ah ! Qui avait repris la belle chanson de Nana Mouskouri ! Là ! Comment c’est le titre ? Ca fait : « La la, la la, lalalala ! »

 

Et c’est là que Florent Pagny, qui s’appelait alors Gustave Chabanoud, c’est la que Gustave Chabanoud a fait ses vrais débuts, avant de devenir Florent Pagny ! A chaque fois, l’Olivier nous raconte comment il avait installé sa sono tout seul ! Et qu’il avait vomi… tellement qu’il avait le trac avant le concert ! Hé ! Hé ! Maintenant qu’il a réussi, y connaît plus le petit bar de l’Escale ! Pas même Issougny-les-Crémones ! Tiens ! J’suis même sûr qu’il s’rait pas capable de placer correctement le Tarn-et-Saône sur une carte de France ! Où est-ce qu’il vit lui maintenant ? Ah ! Oui ! En Patagonie ! En Patagonie ! J’sais même pas où c’est ! L’Amérique du Sud ? Par-là ? Sombrero et carnaval ! Ah ! Non ! Mais… Les gens sont ingrats !

 

En revanche, Frédéric François est un fidèle ! Ah ! Ben… Y vient au moins trois ou quatre fois l’an ! Et moi, je dis “Chapeau!” Je dis aussi qu’il faut soutenir tous les petits lieux qui osent des programmations courageuses ! De toute façon, au pays, je sais pas si c’est un truc local ou générationnel, mais, les gens entre 30 et 70 ans, grosso modo, ceux qui n’intéressent personne, sauf quand on a besoin d’eux, et ben, entre ces gens-là et moi-même, on est bien d’accord, et pas uniquement avec les chanteurs d’expression ! Non ! Non ! On est bien d’accord entre nous pour mettre des bâtons dans les roues à l’ordre établi et au politiquement correct ! A une époque décadente où tout ce qui est mal aujourd’hui était bien hier et inversement, ah ! Oui ! Y faut mettre des coups de pieds dans la fourmilière ! Y a que ça qui fera avancer les choses et les êtres ! Ouais ! Comment qu’y dit René Durand en levant ses béquilles ? Ah ! Oui ! « Ca va faire mal ! » Y dit ça ! « Ca va faire mal ! » Comme dit Frédéric ! Non ! Pas Frédéric François ! Bien que très engagé, il va pas jusque là ! Pas jusqu’à la révolution douce ! Pas encore, mais il y viendra ! Non ! J’vous parle de Frédéric Boulard, comme de juste !

 

Le petit bar de l’Escale. Chansons-Cabaret de temps en temps, dépôt de pain, y fait aussi les journals, bientôt internet à ce qui parait, le « vèbe », un peu de ptt… Hé ! Faut bien que quelqu’un le fasse ! Puisqu’ils veulent plus le faire ! Restauration, enfin… Repas ouvrier le midi, articles de pêche, location de vélos, de kayaks… Qu’est ce qu’il fait encore l’Olivier ? Taxi durant les heures creuses, au forfait ! Qu’est ce qu’y fait encore ? Ah ! Oui ! Recel ! Recel et vente de braconnages à la saison : Lièvres, garennes, faisans, perdrix, un peu de sanglier, y qu’à commander ! Du chien sauvage aussi ! Cèpes, girolles, pleurotes, cuisses de grenouilles… Oui ! Il fait tout ça ! Pas feignasse !

 

Et vous voudriez qu’on dise du mal ? Moi, j’appelle ça du service public ! un bosseur ! Un bosseur qui ne nuit à personne ! Tout le contraire ! C’est ce qu’y dit toujours l’Olivier :

 

« Ben ! Si y en a qui veulent s’installer ici, des jeunes surtout, ben… J’suis prêt à les aider ! Moi, j’ai rien contre la concurrence ! Et puis… Et puis… Et puis j’ai pas quatre bras ! Faudra bien un jour que j’détèle ! On n’est pas immortels, à ce que je sache, sans me vanter !»

 

Oui ! Y dit ça ! Et c’est finement analysé et c’est d’une grande et d’une belle sagesse !

 

Maintenant, y a les autorités incompétentes qui pourraient lui reprocher d’en faire trop, de pas tout déclarer… Ouais ! Ouais ! Ouais ! Ouais… Ouais ! Ben en tout cas, on serait tous bien malheureux si un jour y ferme !

 

Un jour, ou une nuit, puisqu’il fait bar de nuit ! Je me tue à vous le répéter ! Un jour, une nuit, y faut venir ! Viendez ! Y a une belle ambiance ! On n’est pas nombreux, mais y a de la qualité ! Ca fait un peu genre de club ! Mais… Vous pouvez venir ! On est accueillants ! Surtout les filles ! N’hésitez pas ! Surtout les filles ! D’autant que vous ne craigniez rien ! L’Olivier, le patron, il supporte pas qu’on ennuie les dames ! Il explique : « J’en ai trop vu dans les seventies ! » Venez les filles ! Viendez ! C’est vrai qu’à part Nadine, la secrétaire de mairie, la gente féminine est peu représentée ! Beaucoup d’hommes ! Beaucoup d’hommes !

 

Souvent, y a Lucien Durand, qu’a travaillé à Paris avant de revenir au pays ! Souvent, Lucien, Lulu comme de juste, y met son béret en arrière et y lance à la cantonade :

 

«  Y a que du mâle ici ! On se croirait dans une boite gaye ! »

 

Auprès de lui, y le vieux François, toujours en bleu de chauffe alors qu’il a 77 ans ! Comme quoi, y a pas d’âge pour faire du sport et se maintenir en forme ! Il était mécano au garage Troisdecq, sur la route du Châtelet, à main gauche, bien sur ! Y bricole je-sais-pas-quoi dans son cabanon au fond du jardin. Y dit toujours : « Faut que je m’occupe les mains ! » Manière de pas succomber au bourdon !

 

Y a Joseph Michalon, qu’a jamais beaucoup de temps ! Après le film ou l’émission de Sébastien, il a annoncé qu’il avait plus de clopes, plus de cigarettes ! Hé ! Drogué criminel, comme de juste ! y peut pas s’en passer ce malade dégénéré ! Non ! En fait, c’est un prétexte ! Un prétexte pour nous rejoindre à l’Escale, une demi-heure, une heure ! Et puis nous, on joue à le retenir ! « Ah ! Bande de chameaux ! J’vais me faire engueuler ! » Et puis il expliquera à Bobonne : « J’suis tombé dans une embuscade ! » Ouais ! Ou bien, si c’est très tard, il dira qu’il a crevé un pneu !

 

Y a Maurice, Momo Viguier qui siffle sans arrêt un refrain entre ses dents ! Il le sifflote plutôt ! Toujours le même air, que personne ne reconnaît !

 

Y a Georges, Jojo, qu’on appelle aussi Pressing parce que ses parents tenaient un pressing, une teinturerie à Plourhinec-Kermaleur ! Oh ! Lui, y s’en fout ! Royal au bar ! Depuis qu’il a divorcé, il est de nouveau célibataire ! Il rentre aux heures qu’il veut !

 

Y a le gars Michalon ! Ah ! Le gars Michalon, j’lui parle pas beaucoup à çui-la ! Parce qu’on s’était battus, un jour, en colonie de vacances, quand on était mômes, on devait avoir 9-10 ans ! Ca fait loin ! Oui ! C’est loin ! Je sais plus à propos de quoi on s’était peignés… Ah... Oh ! La ! La !

 

A l’Escale, on est une quinzaine le vendredi, le samedi soir ! Pas les autres jours ! Faut bien que l’Olivier se repose ! Comme y dit toujours : « J’ai pas quatre bras ! »

 

Chaque vendredi et samedi soir, vers 1 heure, parfois un peu plus tôt, s’il sent, il a l’œil ça pour sentir ! Oui ! Oui ! Et les oreilles pour voir ! S’il sent qu’y a des gars qui sont trop chauds, trop chargés… Il aime pas la gueule à fioul, la gueule saoule l’Olivier. En plus ça peut lui faire avoir des histoires, s’il laisse, par exemple le gars reprendre le volant, j’vous l’ai dit ! Il a pas besoin de ça et nous non plus !

 

Alors, une fois qu’on est réunis le vendredi ou le samedi soir vers 1 heure, l’Olivier barre le rideau de fer, il tamise les lumières du petit bar de l’Escale et alors, il nous fait une manière de tisane avec des herbes du coin, dont certaines servent aux frères Gandon, les jumeaux hétérozygotes du Pont-de-Surche, à réaliser l’élixir des goitreux ! Bar closed, tisane à volonté pour tout le monde ! L’hiver, y fait de la soupe de chien sauvage à volonté aussi ! Quand tout le monde est installé, l’Olivier s’assoit sur le comptoir et y nous raconte dans la pénombre, d’où n’émerge que des : « Slllrrrrp ! Slllrrrp ! Slllrrrp ! » Des bruits de chaises qui grincent… Y nous raconte… Quand il était ambulancier !

 

Les accidents terribles, les plaies, le sang, les blessés, quand il roulait à tombeau ouvert avec la permission des flics sur des petites routes glissantes, tout en soutenant son passager sur le brancard ! Il nous raconte les dernières paroles historiques des moribonds :

 

« Quand c’est qu’on arrive ? »

 

« Chauffeur, si t’es champion, appuie sur l’champignon ! »

 

Y parait même qu’y en avait qui se plaignaient !

 

« Vous nous emmerdez avec votre sirène ! Ca nous casse les oreilles ! Coupez ça ! »

 

Y nous raconte aussi l’Olivier les seventies ! Quand il faisait dans le porno comme y dit ! Deux fois, après avoir demandé, vérifié que l’on était tous adultes et consentants, il nous a projeté des films super8 sur une nappe punaisée au mur ! C’était intéressant avec ses explications ! Ah ! Oui ! Du reportage ! On voit tant de choses aujourd’hui !

 

Et puis ces soirs-là, y en avait qu’on pas pu s’empêcher de poser des questions ! Ca l’a un peu perturbé l’Olivier ! Lui, ce qu’il aime, c’est raconter sans être interrompu !

 

Y nous raconte aussi comment un soir à Macao, il a rencontré Carlos Gardel, l’empereur du Tango ! Un toulousain curieux qui a péri un peu plus tard dans un accident d’avion ! Y nous raconte comment, tous les deux, ils ont écumé les bars, les boites de jeux et comment y sont entrés à cheval avec Patrick Juvet dans la cathédrale de Mexico ! Rien ne manque ! Ni le soleil, ni la lumière des cierges, les geishas en génuflexion et le pont des soupirs ! Y nous raconte, après avoir remis une tournée générale de tisane ou de bouillon de cuisseaux de chien sauvage, comment il a satisfait 18 femmes dans la même nuit, dans les caves du KGB à Stockholm, malgré les espions jaunes !

 

« Ah ! Bé ! L’asiatique est souriant, mais fourbe ! Tout le monde sait ça ! C’est prouvé scientifiquement ! Parmi les 18, y avait Nana la Montpelliéraine ! Une camerounaise qui prenait de l’élixir des goitreux au petit-déjeuner ! »

 

Y raconte, on l’écoute les oreilles grandes ouvertes ! Les yeux écarquillés ! Ah ! La vie, c’est comme un ouragan ! Il raconte ! Que voulez-vous que je vous dise ? Dans les bars, y compris ceux de nuit, on n’a plus le droit de fumer ! Et très bientôt, vous allez voir, on n’aura plus le droit de boire et un peu plus tard encore, plus le droit de causer ! Et très vite, plus le droit de penser ! Y peut pas y avoir que des boutiques de fringues, du kébab ! Faut aussi que les patrons de bars fassent des efforts pour survivre ! Et, j’en connais qui le fait, déjà !

 

Ouais ! Comme votre vie doit vous sembler vide et fade ! Et si vous avez l’occasion, passez nous voir au petit bar de l’Escale ! Surtout le vendredi, ou le samedi !

 

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