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Dépèches du Tarn et Saone
16 décembre 2009

La tropette, c’est très local !

 

(Retranscrit de l'émission sous les étoiles exactement du 8 Décembre 2009 de Serge Le Vaillant)

dents

Il quitte le boulot à 17 heures. Mais y débrayent avant avec les gars ! Dès que le contremaitre s’en va rejoindre la Lucienne Michalon, du service comptabilité, dans les vestiaires, les gars de l’équipe se retrouvent peinards ! Y débrayent donc et autour d’une bouteille de vermouth, ils jouent pendant une heure à la Tropette ! Ah ! La tropette, c’est très local ! Ah ! C’est très Surchois ! Dans le nord du Tarn-et-Saône ! Ah ! Faut connaître ! C’est traditionnel ! Si on n’a pas été élevé là-dedans, on ne saisit pas toutes les finesses et les subtilités du jeu ! J’vais tout de même tenter de vous expliquer de quoi il retourne ! La tropette, ça se joue à un contre un ! Debout !

tropette

Le premier compétiteur balance une gifle, une mandale, une baffe à son adversaire qui lui fait face ! Au terme de ce premier échange, de ce premier tour, l’adversaire donne une beigne lui-aussi, un pain sur la gueule, ou dans la gueule du premier. Et cætera, et cætera, chacun son tour. Le premier des joueurs qui dit « Aïe ! » Ou qui annonce : « C’est pas que je m’ennuie, mais y se fait tard et y faut que je m’en aille, d’autant que je commence à avoir les joues qui gonflent et qui enflent ! » Le premier qui a dit ça a perdu et doit payer sa tournée de vermouth.

vermouth

Non… Mais je vous avais prévenu que vous ne pourriez pas saisir toutes les subtilités de ce jeu ! Il quitte le boulot à 17 heures, et il file chez le dentiste ! Y peut pas résister ! Oh ! Il y va pas tous les soirs fort heureusement ! Et malheureusement d’un sens ! Heureusement, parce que sinon, ça écornerait sérieusement le budget familial, vu qu’il n’est pas remboursé par la sécu ! Et puis malheureusement parce que… Le dentiste, il aime vraiment ça !

piqure

Ah ! Oui ! Enfin… C’est encore pire ! Quand ça le prend, quand l’envie le prend, y peut pas résister ! Il y pense durant toute la journée au boulot ! Il en tremble ! Il attrape des suées ! Faut qu’il aille chez le dentiste ! C’est son truc ! Deux, trois fois par semaine, plutôt trois fois ! Dans les périodes de manque, ça peut arriver tous les soirs. Le dentiste Alfred Chabassus lui a dit :

 

« Monsieur Boulard, vous commencez à m’inquiéter ! Faut faire attention là! Vous devenez addict ! Moi, si j’ai un contrôle sanitaire, on va plus rigoler ! J’veux bien être gentil, bien aimable, mais là, oui m’sieur Boulard ! Vous commencez à me faire peur ! »

 

Il quitte le boulot à 17 heures après une bonne partie de tropette, où il a mis sa tannée à c’t’enflé de Marcel Viguier. En quatre tours. L’autre a fini par donner de la tête dans une des armoires métalliques, les quatre fers en l’air. Maintenant, il va chez le dentiste ! Ah ! Oui ! Ce soir, il y va ! Ah ! Oui ! Oui ! Les joues encore en feu, mais oui ! Oui ! Oui ! Ah ! Oui ! Oui ! Oui ! Il y va ! Ah ! Quand on a une envie, hein ! Puis faut en profiter ! C’est-y pas vrai ? On n’a qu’une vie ! Hé ! Hé ! Y a pas de mal à se faire du bien ! Ni du mal d’ailleurs ! Tant que cela se passe entre adultes consentants ! Oui… Adultes consentants… Quand il déboule au cabinet, il aperçoit le dentiste, Alfred Chabassus ben… Qui tire la tronche ! Pourtant, lui, il a pas joué… A la tropette !

 

« Ah ! M’sieur Boulard ! Trop c’est trop ! Ah ! Non ! Non ! Non ! Ce soir, j’peux pas ! J’ai le bridge de m’dame Caillet à ressouder et puis le détartrage de monsieur Gandon ! Alors là, croyez-moi, y a du boulot ! Hein ? C’est un gars qui salive beaucoup ! En plus, il sort de la grippe porcine ! Non, non ! Non, non ! M’sieur Boulard ! Même avec la meilleure volonté du monde, ce soir, j’peux pas vous prendre ! C’est pas possible ! »

 

Il avait quitté le boulot dès 17 heures, il avait roulé comme un dingue pour rejoindre le cabinet de l’autre ! En voiture, pour patienter, il avait sucé des clous de girofle ! Parce que ça lui rappelle l’odeur du dentiste. Des clous de girofle, il en a toujours dans la boite à gants ! Par deux fois, son épouse Colette les avait découverts et s’était interrogée ! Maintenant, il est dans la salle d’attente. Le dentiste va le prendre. Oui ! Oui ! Il a accepté de le prendre vite-fait, entre deux rendez-vous, le bridge et le détartrage, ému par sa mine dépitée ! Ah ! Il sait bien prendre l’air de la chienne dalmatienne qui a égaré sa baballe ! Il lit un magazine des chemins de fer, devant lui, y a monsieur Gandon qui se cure les ratiches avec les clés de sa voiture, histoire surement de faire gagner du temps au dentiste ? Il entend les sifflements de la roulette qui nettoie les racines de la mère Caillet.

 

Dans quelques minutes, il sera à sa place, allongé dans le fauteuil ! C’est son truc ! C’est son truc ! Et encore aujourd’hui, il a pas résisté, faut… Faut qu’il se fasse anesthésier ! C’est ça son vrai truc ! L’anesthésie ! Des années que ça dure ! Deux-trois fois par semaine ! Il lui faut sa dose !

dentsr

Sentir l’aiguille et le métal qui s’insinue dans la gencive ! Ou mieux encore ! Alors-là, c’est le Nirvana, réservé aux grands jours ! Ah ! Quand l’aiguille pénètre dans le palais… Et sentir l’anesthésique se diffuser dans sa bouche, jusqu’à ce que ses lèvres lui semblent s’être transformées en un poulpe de 3 kilos ! Voilà ! C’est ça pour lui le comble du bonheur !

tentacule

« Merchi Docteur ! »

Ah… Mais le Docteur, il est pas content ! Il a dit :

« J’vous préviens monsieur Boulard ! C’est la dernière fois ! Ah ! Non ! Non ! Non ! J’peux pas vous voir avant jeudi ! »

« Allez ! Monsieur Gandon ! C’est à vous ! Ah ! J’vois que vous m’avez avancé ! Ah ! Contre la plaque dentaire, y a rien de mieux que de frotter avec les clés de voitures ! C’est ce que je dis toujours ! »

Dans le miroir de l’ascenseur, il contemple sa lèvre supérieure. Rien d’apparent. Pourtant, il a la sensation de porter sous le nez une limace de 6 livres en guise de moustache ! Rien de visible extérieurement ! Colette ne saura rien ! Il rentre. Il va rentrer. Il mâche quelques chewing-gums à la chlorophylle, pour faire disparaître l’odeur des clous de girofle. Parfois, en mâchouillant, il se mord la lèvre. Il n’éprouve aucune douleur ! Anesthésié ! Il pense que c’est venu de cela son addiction, son goût pour l’anesthésique ! Tout môme, il adorait se bouffer la bouche, se mordre jusqu’au sang ! Y sentait bien le contact des dents sur sa viande ! Mais aucune douleur ! Ensuite, il avait dégusté, il avait appris à savourer toutes les subtilités de l’ankylose ! Trois à quatre fois par semaine !

Et alors ? Il boit pas, il a arrêté de fumer, il est fidèle à Colette, l’anesthésie, c’est son seul vice ! Enfin… Enfin… Oui ! Parfois, mais alors vraiment exceptionnellement, il a un autre vice ! Y pousse jusqu’au photomaton de la gare de Bazoges-sur-Surche… Ah ! Non ! Non ! Il va pas y aller ce soir ! Déjà l’anesthésie… Non ! Non ! Non ! Non ! C’est pas le moment !

Il y est allé quand même. Il arrive à la gare de Bazoges-sur-Surche. Il va jusqu’au photomaton.

photo_ma_ton

Une fois assis, une fois le rideau tiré, une fois les pièces de monnaie introduites, il se met de dos.

 

« Pouf-pouf-pouf-pouf ! »

 

Quatre photos d’identité où on ne voit que sa nuque, ses épaules, ses cheveux. Il ne récupère pas ses photos. Tandis que l’appareil travaille pour les développer, il se met à l’écart !

« Bling ! »

photomaton

Les clichés tombent ! La souffleuse se met en marche pour les sécher ! Lui, il attend. IL attendra jusqu’à ce qu’un quidam les récupère ! Les regarde, se marre ou les jette dans la poubelle après une moue désabusée. L’idéal, ah… L’idéal ! C’est quand quelqu’un les mets dans sa poche. Alors, tous les phantasmes sont permis !

pj

Ces photos de lui de dos, va-t-il les montrer à d’autres ? Que racontera-t-il à propos de ces photos ? Ou alors, celui qui les a récupérées les contemplera en solitaire en s’interrogeant longuement ! Ce soir encore, il se fait photographier la nuque. Ah ! Un grand jour ! Le dentiste et le photomaton ! Et puis un belle victoire à la tropette en plus !

En chemin, il songe, il se dit que Colette va l’appeler Arthur, lui causer du pays ! Elle n’aime pas, elle déteste qu’il soit en retard ! Elle s’inquiète vite, elle est malade des nerfs ! Une demi-heure de retard, elle appelle les flics, elle téléphone à l’hosto, et à toutes leurs connaissances ! Ah ! Ce soir, il a joué avec le feu ! Il n’aurait pas dû aller jusqu’à Bazoges-sur-Surche ! Faut choisir ! Le photomaton ou le dentiste ! Là, il s’est gavé ! Là… Et maintenant, il va être obligé de mentir, d’inventer un bobard qu’elle ne gobera pas forcément ! Ah ! Ben ! Il la connaît sa Colette ! Faut pas la prendre pour plus truffe qu’elle ne l’est déjà ! Elle va le cuisiner ! Non ! D’abord, elle va gueuler ! Ah ! Ca ! Pour gueuler… Elle va gueuler, elle va lui redire qu’elle s’est fait un sang d’encre, que c’est pas bon, mais alors pas bon du tout pour son hypertension ! Emotive, elle va lui lancer qu’il n’a pas pitié d’elle et qu’il sera bien avancé si elle tombe malade ! Comment fera-t-il tiens pour faire sa cuisine, laver ses slips et ses chaussettes ? Ah ! Oui ! Il sera bien avancé ! Après, après seulement avoir gueulé, oui ! Elle lui demandera des comptes !

 colette

Jamais il lui a parlé du dentiste ! Tututut ! Le dentiste qu’il paie toujours en espèces ! Pas de traces ! Et jamais il n’a parlé à Colette du Photomaton ! Ca devient grave ! Hein ? Il déconne ! Y faut arrêter ça ! Ca peut pas continuer ainsi ! Il va arrêter ! Il faut qu’il arrête ! Oui ! Mais c’est pas facile ! Vraiment pas ! Le tabac oui ! Les clopes ! Du jour au lendemain il a arrêté ! Sans patch ! Sans acuponcteur ! Rien ! A la volonté, à l’arrache ! La preuve qu’il a de la volonté ! Ah ! Mais pas pour le photomaton ! Le plaisir est trop grand ! Ah ! Puis l’anesthésie, c’est pire encore ! Non ! Tant que le toubib ne lui ordonnera pas d’arrêter… C’est ce qu’on se dit tous ! Toujours !

 

Elle gueule Colette ! Elle gueule ! Ah ! Oui ! C’était prévu ! Lui, il mord sa lèvre… Elle explique qu’elle allait téléphoner aux flics ! Vraiment ! Trois minutes de retard encore, et elle les appelait ! Juré sur la tête de la chienne ! Et en tendant la main, elle montre ses doigts tremblants. Elle est malade des nerfs ! Il le sait pas ? Tiens ! Elle s’est tellement affolée qu’elle en a oublié de remplir la gamelle de la chienne ! Pourtant, elle est pas responsable la chienne ! La pauvre bête ! Elle a téléphoné chez les Viguier ! Paraissait qu’il avait mis dans un bel état ce pauvre Marcel avec leur bêtise de jeu de tropette ! Mais faudrait un jour grandir ! Prendre un peu de plomb dans le cervelas ! A-t-on idée de se mettre des gifles comme ça ? Et puis, elle a sorti son mouchoir, où elle fait toujours belle provision d’oignons. Elle s’est mise à pleurer, chialer, chougner, sangloter, gémir Colette ! Et… Presque une heure de retard ! Et quand y a des doutes, et ben y a plus de doute ! Surement une femme là-dessous ! Des semaines qu’il rentre de plus en plus tard ! Oh ! Qu’il se rassure ! Elle fera pas une enquête ! Ca peut se faire pourtant ! Hein ? Embaucher un détective, organiser une filature, elle a lu ça dans un magazine ! Ils prennent des clichés des adultérins ! Après, on peut réclamer une pension somptuaire ! Elle est pas comme ça ! Elle est pas sournoise, elle ! D’ailleurs elle s’en moque ! Et mieux encore, elle s’en fout ! Le sentiment, enfin… Celui-là qui vous pousse à faire la chose, elle a plus l’âge de s’embêter avec ça ! Elle a fait une croix sur le sentiment ! Très juste ! Et seulement la vérité ! Qu’on la prenne pas pour une truffe ! Elle en fera pas un drame !

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Il la connaît bien sa Colette ! Oh ! Que si ! Elle en fera un drame ! Alors, il préfère lui avouer ce soir-là… Qu’il a une maitresse !

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